L’image d’un petit enfant mort sur une plage grecque a bouleversé et interpellé l’occident en quelques heures et infléchi les politiques européennes en quelques jours.
L’asphalte marseillais ne procure pas les mêmes sursauts altruistes dans le peuple de France. L’inertie nationale, et gouvernementale par conséquent, semble de plomb.
Pourtant, il s’agit de nos enfants qui s’entretuent, se suicident dans un décor sordide qui semble voué à l’immobilité éternelle, tant les annonces et les plans successifs en leur faveur n’ont jamais, à aucun moment menacé de changer les logiques ségrégatives qui les travaillent en profondeur, jusqu’à la sécession.

Et pourtant, nous le savons :

Ici et ailleurs, à de nombreuses reprises, nous avons déjà décrit les 5 à 8 millions d’habitants des banlieues, français pour la plupart et cependant sans fin renvoyés à leurs origines souvent déjà lointaines du Maghreb ou de l’Afrique sub-saharienne. Nous avons ressassés les taux de chômage deux fois supérieurs à la moyenne nationale, la faible formation et les difficultés d’accès à l’emploi, l’enclavement et le délit de faciès. Nous avons rabâché les diagnostics sociaux et urbains, l’état du logement et de l’absence d’espace public.
Chacun connait presque dans le détail la formidable action de l’Etat français dans la reconstruction du pays d’après-guerre, les Trente Glorieuse, le productivisme industriel et le plein emploi. Tous les français des villes et des champs ont vu à la télé ou lu dans leurs journaux la lente dégradation de la situation de notre pays après les chocs pétroliers, avec les banlieues comme thermomètre de l’appauvrissement national.
Tous, nous savons qu’avec un revenu moyen de moins de 1000Euros on ne peut faire vivre une famille et que par conséquent, dans cette immensité de grande pauvreté satellisée hors de la Nation, l’économie souterraine supplée à l’économie officielle et à la rareté de l’argent public à finalités sociales. En silence, cyniquement, la tête légèrement baissée, nous laissons filer car ce fléau nous exonère de notre obligation de partage. Momentanément.
Depuis plusieurs années, nous avons répété à l’envi ce que ces quartiers et leurs habitants nous renvoient de détestable par tant de délabrement, de méprisable par tant de violence.
Les banlieues, ce puits sans fond ou semble s’écouler fort injustement l’argent public si durement accumulé par nos impôts…

L’enfant des banlieues, cet autre nous-même, nous est insupportable car il porte sur son visage nos ratés à l’intégration, notre démission au partage du territoire, de l’emploi et des richesses, il nous renvoie notre fond de racisme.

Cet enfant, nous le détestons car son échec est le nôtre.

Hollande et Valls le savent aussi :

Non, rien n’a pas été fait, contrairement à ce que proclament d’une même voix droite et gauche de la gauche ! La continuité de l’Etat est parfaite en la matière : fin du plan Borloo et lancement du Nouveau (comprendre second) Plan National de Rénovation Urbaine. 5 milliards vont donc s’ajouter aux 9 milliards d’argent de l’Etat afin de poursuivre l’action entreprise depuis 2005 et générer environ trois fois la mise en direction du secteur du bâtiment et des travaux publics qui en ont bien besoin. L’orthodoxie de ce nouveau plan est parfaite, conforme au précédent avec cependant une décente inflexion : moins de démolition du bâti existant, un peu plus d’humain et de social, moins de dispersion des moyens. Pour autant, ce petit plan est sans doute trop conforme à ce que nous avons déjà dénoncé, particulièrement par son absence d’ambition sociétale. La France est urbaine à 80%. Il s’agit donc de notre nouveau biotope, de notre modèle civilisationnel.

Ces plans n’agissent pas sur le déstockage de la misère sans cesse ramenée là, par manque de logements sociaux construits ailleurs que dans les quartiers antérieurement nommés populaires, à l’époque du plein emploi, et devenus « de grande pauvreté » en son absence.
Ces plans n’agissent pas sur la mixité sociale en raison du refus de la population et de ses élus, qui chacun dans leur rôle combattent par tous les moyens la construction de logements sociaux à proximité de « chez eux ».
Pour ces raisons, particulièrement par l’ « entre soi », le ghetto se reconstitue sur lui-même, inlassablement. Pour être plus précis, nous reconstituons le ghetto sur lui-même, sans discontinuer.

Les deux principaux personnages de l’exécutif ne l’ignorent pas.

Hollande et Valls savent que seule une parole forte peut faire bouger les lignes des conservatismes locaux et nationaux ; seule une parole forte peut faire reculer l’égoïsme territorial, redessiner une carte de l’archipel de la grande pauvreté qui mite irrémédiablement la Nation.
Hollande et Valls savent qu’il nous faut reconquérir les territoires intérieurs peuplés des descendants de nos colonies extérieures, et que l’extension de la Nation se fera dès lors par une nécessaire croissance interne.
Hollande et Valls savent que le pays s’effrite lorsque la République recule en raison du manque de volonté de ses élus et de ses représentants, que leur responsabilité personnelle est historiquement engagée face à l’ « apartheid territorial » galopant.

Le risque existe de laisser ces territoires urbains à la dérive se marginaliser encore un peu plus et leurs habitants souffrir toujours plus ; le risque existe aussi qu’à force de se voir dans ce miroir déformant, de guerre lasse, le pays se livre à des entreprises de défaisance nationale lors des échéances électorales à venir.

Hollande et Valls ont-ils fait le choix de la Ville, pour la République ?

*Note de la Rédaction : Le Premier ministre Manuel Valls réunissait ce lundi aux Mureaux (Yvelines) le comité interministériel destiné à revenir sur les mesures annoncées pour lutter contre ce qu’il avait qualifié à l’époque de « phénomène de ghettos urbains ». Ce comité interministériel visait à « amplifier » certaines d’entre elles.