L’architecture soviétique, une architecture qui en impose
Quand on pense à l’architecture soviétique, tout un tas d’images nous submergent. Du béton, des formes simples, géométriques, mais surtout un décalage entre l’uniformité des banlieues monotones communistes et l’exubérance des édifices gigantesques et futuristes. Cela ressemble étrangement à des paysages urbains qu’on peut également retrouver par chez nous, dans nos villes nouvelles d’Île-de-France.
Le bâtiment principal de l’Université Lomonossov de Moscou sur les Monts des Moineaux – Crédit photo ©Eldar Vagapov via Wikipédia
Contrairement aux idées reçues, le champ de l’architecture soviétique est vaste, surprenant et souvent méconnu en Occident. Du constructivisme des années 1920-1930, aux formes Art déco, aux gratte-ciels staliniens imposants, en passant pas le bâti industriel ordinaire et les immeubles d’habitation uniformes, la variété ne manque pas. Pourtant une ligne directrice reste présente : le béton armé et la géométrie souvent stricte. On retrouve aussi une récurrence sur l’ensemble du territoire de l’ex-URSS : des ministères, des écoles, des maisons de la culture, des statues et des monuments commémoratifs. Une standardisation bien sûr liée au système étatiste centralisé.
Le club des travailleurs de Zouïev, 1927 – Crédit photo ©Plates from the A. V. Shchusev State Research Museum of Architecture; Moscow via Wikipédia
Chaque pays a vu dans ses villes et campagnes apparaître cette architecture, souvent synonyme de domination. L’URSS était un espace incroyablement étendu, allant de l’Europe Centrale à l’Asie. Elle a impacté de manière très différente de son empreinte les paysages de pays qui aujourd’hui se l’approprient de façons très différentes en fonction des contextes spécifiques.
Des monstres de bétons très charmants ?
Certains vouent une véritable passion et fascination pour cet héritage, notamment des photographes qui collectionnent les clichés de ce patrimoine souvent à l’abandon, cherchant des traces de ces monuments fous qui gisent un peu partout. Une perdition qui leur donne beaucoup de charme, une beauté mélancolique, et qui fait souvent oublier le contexte dans lequel ils ont été construits. Ces ruines de béton oubliées attirent les curieux, les férus d’exploration urbaine (Urbex), cette activité consistant à visiter des lieux construits par l’homme, abandonnés et en général interdits, ou tout du moins cachés ou difficiles d’accès.
Crédit photo ©Valentin Martinez via Unsplash
C’est ainsi que Buzludzha une ancienne salle de congrès aujourd’hui abandonnée, située en Bulgarie, a refait surface et attire de plus en plus d’explorateurs et de touristes, alors même qu’elle se trouve au milieu de nulle part. Inauguré en 1981, ce bâtiment monumental et futuriste a mobilisé pendant sept ans plus de 6 000 travailleurs dont 20 célèbres peintres et sculpteurs bulgares, qui en ont réalisé la décoration intérieure. Tout ça pour être aujourd’hui totalement à l’abandon et dans un piteux état.
Cette étrangeté est issue du quatrième âge de l’architecture soviétique, le plus méconnu, marqué par une forte créativité et par l’influence de la science-fiction. Une diversité des styles qui aujourd’hui fascine et plaît beaucoup. Elle prend source dans les années 70 comme pour semer un monde en devenir. Fini les angles et place aux arrondis ! Un redoux annonceur du dégel dans un contexte de guerre froide qui figeait alors l’Europe. Une série de bâtiments insolites a poussé comme des champignons aux marges de l’URSS, qui sont aujourd’hui souvent abandonnés et presque jamais mis en valeur. Faut dire qu’étant associés au passé communiste, ils suscitent l’indifférence, voire même le rejet dans les nations fraîchement émancipées de la tutelle de Moscou.
Sauver ou pas : une question de goût ?
Cette signature architecturale audacieuse est peut-être aussi la cause d’un tel refus. Erevan, capitale de l’Arménie, est très ambivalente dans son approche de l’architecture soviétique. Sa physionomie urbaine doit beaucoup à Alexandre Tamanian (1878-1936), qui a incorporé des éléments issus de l’architecture médiévale arménienne au style néoclassique, pour former l’omniprésent style néo-arménien. Un style qui plait beaucoup grâce à son lien avec la culture arménienne ! Ils abritent les institutions et sont classés au patrimoine national. Les édifices futuristes plus audacieux, ne sont quant à eux, pas très appréciés.
Certains monuments font ainsi tâche et débat dans le paysage des villes. C’est par exemple le cas de la tour de la télévision de Prague qui dénote avec le patrimoine historique et le charme Bohème de la capitale tchèque encore bien préservée. Construite à partir de 1985, la tour Zizkov mesure 216 mètres de haut et se situe sur une colline : combo parfait pour la rendre visible d’absolument tous les coins de Prague ! Une pollution visuelle très critiquée par les habitants !
Crédit photo ©Li-sung via Wikipédia
En 2000, l’artiste David Černý a installé une dizaine de sculptures de bébés de façon temporaire sur la tour, avec l’envie de redonner une nouvelle image à cet édifice peu apprécié. Face à l’engouement général, ils y furent scotchés définitivement en 2001. Aujourd’hui le tourisme permet aux habitants de Prague d’apprivoiser et d’apprécier doucement sa présence.
Quel avenir pour le patrimoine architectural soviétique ?
Alors que l’architecture soviétique fascine et inspire encore les imaginaires, tout le monde n’est pas de cet avis, y compris la Russie, puisque Vladimir Poutine a demandé la démolition de près de 8.000 khrouchtchevki en 2017. Table rase sur un passé douloureux mais historique qui risque alors d’être perdu à jamais.
La question de cet héritage encombrant reste épineuse, autant pour la Russie qui affiche et clame une modernité retrouvée avec sa Moskva City, que pour l’ensemble des pays de l’ex-URSS qui laissent totalement à l’abandon cette partie de leur histoire. Bien qu’on puisse le comprendre, quel avenir pour ce patrimoine du 20ème siècle en péril ?
Moskva-City, centre d’affaires international de Moscou – Crédit photo ©Nikita Karimov via Unsplash
Une revalorisation se profile dans certains pays, accompagnée d’une réappropriation des monuments et édifices. C’est le cas en Roumanie. Le dictateur Ceaucescu y avait entrepris la construction du plus grand bâtiment administratif à usage civil du monde : le palais du Parlement à Bucarest. Un chantier colossal inachevé lorsque le dictateur roumain a finalement été évincé du pouvoir. Consultés, les visiteurs ont massivement soutenu la finalisation des travaux, à la surprise générale et au grand dam des intellectuels qui associent le palais à la mégalomanie et au despotisme. Comble, aujourd’hui le monument est devenu un symbole national. Il héberge le parlement et un musée d’art contemporain mais en raison de son manque d’ancienneté et du rejet des élites culturelles, il n’est pas encore classé comme monument historique. Une question de temps, d’après les habitants.
Le palais du Parlement à Bucarest – Crédit photo ©hpgruesen via Pixabay
Une patrimonialisation progressive qui voit également le jour depuis très récemment, en Estonie ou en Lituanie, où les nouvelles générations revendiquent la patrimonialisation de certains bâtiments. C’est ainsi que des groupes de la société civile se mobilisent pour préserver d’anciens cinémas et autres bâtisses. Encore contestée et peu défendue par les autorités, la patrimonialisation de cet héritage prendra certainement beaucoup de temps.
Crédit photo ©Natalya Letunova via Unsplash