Initié en 2007 par Nicolas Sarkozy et lancé en 2009, le projet du Grand Paris veut transformer l’agglomération parisienne en une grande métropole mondiale du XXIème siècle. Ses objectifs sont d’améliorer le cadre de vie des habitants, corriger les inégalités territoriales, construire une ville durable, et sur une plus grande échelle assurer la position de la capitale française dans la compétition des grandes métropoles mondiales.

Afin de débattre sur ce projet ambitieux, nous avons interviewé Daniel Béhar, géographe et professeur à l’Institut d’Urbanisme de Paris, maître de Conférences à l’École des Ponts ParisTech, ainsi que consultant à la coopérative ACADIE, qui nous a éclairé grâce à quelques questions fondamentales.

Pourquoi dit-on Grand Paris ? Dans le sens penser en “grand” alors même qu’on est dans un mouvement vers le local ?

Je pense que cela s’inscrit dans un temps long. Cela existait auparavant aussi. On se souvient de Haussmann, à la limite même si c’est plus sombre, aux Allemands qui pendant l’occupation disaient “Gross Paris”. C’est l’idée que l’agglomération parisienne se dilate et qu’il faut se mettre à la hauteur de ce phénomène. Et puis, la question la plus récente, celle qui a été posée il y a plus de dix ans, c’est celle de la compétitivité, de la concurrence entre les grandes villes.

Donc, le “Grand” Paris, pour moi, il s’agit d’un carrefour entre ces deux questions. Une problématique interne, “en-dedans”, qui est la dilatation, et une “au-dehors”, qui est celle de la concurrence. Ce terme est donc utilisé pour essayer de rendre compte de la dilatation et pour se positionner dans la concurrence.

Après, c’est discutable de poser les enjeux en ces termes-là. C’était initialement aussi en quelque sorte une provocation de prononcer les termes du Grand Paris, mais une provocation qui était très illustrative et très compréhensible. Donc cela a marché…

Je trouve discutable dans ce terme que cela fasse comme si c’était Paris en grand, pour justement reprendre le rapport de Castro, comme si c’était simplement une dilatation de Paris, alors que ce n’est fondamentalement pas cela dont il s’agit. C’est un changement de nature du fait urbain et de notre façon de vivre dans la ville qui est en cause.

Et puis, c’est comme si la question de la concurrence entre les grandes villes se jouait uniquement sur le plan de la taille, du poids, non seulement au sens démographique, mais aussi économique. Et à mon avis, ce n’est pas seulement cela non plus. La concurrence ne se joue pas à termes égaux partout.

Donc pour moi, le vrai enjeu, ce n’est pas le “Grand Paris”, c’est la métropole… Je dirais même que c’est la métropolisation, le processus de transformation. C’est le changement de nature du fait urbain et de la place des villes dans le monde, à travers la métropolisation, la globalisation, etc. La question est davantage de savoir comment on traite ces questions-là.

Justement, qu’est-ce qu’une métropole ? Quels sont les enjeux de la création d’une métropole ?

Ce n’est pas la création d’une métropole; c’est un fait, un constat que la région capitale, ou disons l’Île-de-France, pour prendre une appellation relativement neutre, est en train de changer de nature. Elle se métropolise. Tout change. Le fonctionnement économique, le fonctionnement social, le mode de vie, etc. C’est un processus de transformation permanent. Comment on répond à ce phénomène ? C’est cela le défi pour moi.

C’est la transformation à la fois du rapport entre les territoires, c’est le flux plus que les lieux, c’est une recomposition de la question des inégalités sociales. Si j’avais un mot pour dire qu’est-ce que c’est la métropolisation, je dirais que c’est la montée en puissance des contradictions. C’est une déstabilisation généralisée de nos grilles de lecture, de la compréhension de ce que c’est le fonctionnement de la ville et même de notre rapport au territoire. Ce rapport est progressivement en train de radicalement changer. Et cela est engendré par les effets de mobilité : on travaille à un endroit et on habite à un autre par exemple.

Donc quand Castro parle des 3 000 villages, c’est absurde, car justement c’est la mort du village dans la ville. La métropolisation c’est tout sauf le village.

Est-ce que vous pensez que parler du Grand Paris c’est aussi parler de la fin d’un Paris-Banlieue ?

Pas au sens où il faudrait penser la dilatation du modèle parisien à la banlieue. C’est que Paris aussi se recompose. Et donc oui, Paris et la banlieue sont des catégories qui sont de moins en moins pertinentes, mais parce que les deux changent en même temps.

Est-ce parce qu’on a une vision trop négative des banlieues ?

Oui, mais je pense qu’il y a un effacement de ces catégories. Il y a une recomposition en même temps qui s’opère et qui donne des situations beaucoup plus complexes.

Les projets du Grand Paris que vont-ils apporter aux habitants ?

Alors oui, voilà, vous avez raison. Parlons des projets. Pour moi il y a trois projets qui sont en tête d’affiche : les Jeux Olympiques, les projets d’”Inventons la métropole”, en somme les projets urbains, et puis le métro. Je dirais que les Jeux Olympiques et les projets urbains vont avoir des effets, mais de assez limités dans l’espace.

Le projet qui va toucher tout le monde, c’est le métro. Et mon hypothèse pour le métro c’est qu’il va avoir des effets de transformation qui vont accélérer la métropolisation, et donc les dissociations domicile-travail, l’ouverture des choix, la re-spécialisation des territoires, etc.

Cela va encore plus tuer les villages, beaucoup plus intégrer l’espace métropolitain et produire ce que j’appelle une tectonique des plaques. Les territoires vont se re-positionner les uns par rapport aux autres, pas simplement créer des pôles. Je ne pense pas que 40 pôles urbains seront créés autour des gares avec une espèce de polycentrisme.

L’effet va être plus important mais très différent. On a tendance à reproduire le modèle centre-périphérie, polycentrisme, polyurbain, etc. Le métro va avoir un effet beaucoup plus fort parce que ce n’est pas un métro de desserte, mais un métro d’interconnexion. Il va créer des liens partout, et pas simplement sur son tracé à lui, mais dans les interconnexions avec les RER. Cela va changer la vie des habitants de deuxième couronne. Penser que le métro ce n’est pas qu’un outil d’aménagement, non, c’est un outil beaucoup plus radical à mon avis.

Est-ce que vous pensez que la création d’une identité passe inévitablement par la conception de projets emblématiques ?

Je suis un peu partagé concernant cette notion d’identité. Est-ce qu’on a besoin de créer une identité ? Pourquoi cela a marché, le Grand Paris, c’est justement car cela fait office de création d’identité. Assez simplement car ça fait écho à la vie des gens. Parce qu’ils sont déjà grand-parisiens, même s’ils ne s’approprient pas tout l’espace.

Donc du coup, y a-t-il besoin d’autre chose ? Ce terme de Grand Paris est extrêmement ambiguë et problématique, mais est-ce que cela ne suffit pas à faire identité. C’est encore une lubie d’architecte ! Les architectes se font plaisir sur ces lieux symboliques mais est-ce que les gens ont besoin de ça ? Après, je ne dis pas qu’il ne faut pas le faire et que les architectes ne servent à rien. C’est leur boulot et cela contribue, mais est-ce vraiment la question déterminante… je ne suis pas sûr.

Est-ce qu’on est en train de créer une sorte de marque Grand Paris ?

Oui, on en revient à la question de la deuxième dimension du Grand Paris; dont je parlais tout à l’heure : celle de la concurrence entre métropoles à l’échelle mondiale. C’est incontestable qu’appeler cela “Grand Paris”, cela a créée une dynamique avec les investisseurs, parce qu’il y a eu quelque chose de nouveau.

Mais je pense qu’il ne faudra pas le terme Grand Paris pour être identifié dans le monde. La réalité, la concurrence, c’est Paris… et c’est Londres, New York… Quand on parle de concurrence, on ne parle plus du Grand Paris.

On parlera toujours de Paris et pas d’un “Grand Paris”… ?

Oui, bien sûr !