Nous souhaitons donc lui rendre hommage en revisitant la mode à la sauce urbaine et en nous interrogeant sur le rapport entre la ville et le vêtement. Le style vestimentaire ou tout simplement le vêtement est-il révélateur de l’approche que nous nous avons de la ville ?

Le vêtement, un mode d’expression urbain ?

Le lien entre le vêtement et l’univers urbain sont riches et pluriels. Différents styles sont associés à une certaine pratique urbaine. L’univers des skateurs, par exemple, évoque forcément un style vestimentaire très précis qui leur est propre. Selon comment va être utilisé l’espace urbain, les tenues différent. Ainsi, il est évident que la pratique du running puisse induire une tenue différente que celle des promeneurs du dimanche.

On peut mentionner la naissance du Streetwear, une tendance de mode que l’on peut traduire par “ce qu’on porte dans la rue” et qui est née dans les rues de New York en mélangeant différentes influences, comme l’univers du skate, celui du hip hop mais aussi d’autres courants. Popularisé dans les années 90, il symbolise un certain mode de vie urbain. Aujourd’hui, il redevient tendance avec des marques comme “Supreme” qui permettent de l’officialiser et de le rendre branché.

L’univers de la mode met aussi en scène l’urbain à travers des photos utilisant la ville comme support pour ces modèles. Ainsi, certaines villes font office de décors, notamment les grandes villes. De plus en plus de photographes s’emparent des différentes ambiances urbaines et matérialités dans la ville pour composer des clichés uniques qui mettent en scène différents styles vestimentaires. Les allées pavées, le mobilier en fer forgé, les lampadaires, évoquent davantage des vêtements soignés ou bohème chic, qu’un parking ou un lieu à l’abandon, qui correspondent plus à un univers streetwear.

The Bearpit, Bristol, United Kingdom, par Rob Potter @robpotte

Quand le style vestimentaire s’adapte au quartier

La manière de se vêtir peut contribuer à construire un sentiment d’appartenance. Qu’il s’agisse d’une sous-culture, d’un mouvement politique, comme les gilets jaunes, ou d’un lieu, le vêtement peut servir à porter une identité. Ainsi, on remarque que beaucoup de villes peuvent s’afficher sur les tee-shirts, les sweats, les casquettes, les sacs, avec des typographies qui leur sont propres. Certaines deviennent même des marques, comme “NYC” pour New York City.

Jeune femme posant avec un tee-shirt NYC via unsplash @brookecagle

Ainsi, les styles peuvent être associés à des villes toute entière, selon les cultures et les imaginaires, ou même à des quartiers dans certaines villes. Sans tomber dans les clichés, l’univers vestimentaire du 16ème arrondissement se distingue de celui qu’on pourra trouver dans le 18ème, comme à Barbès. Et c’est aussi le cas dans les autres villes, notamment entre quartiers plus aisés et plus populaires, mais aussi entre quartier étudiants, d’affaires ou à caractère plus familial. Notre tenue peut donner quelques indices sur nos lieux de résidence et même sur les lieux de la ville que nous fréquentons.

D’après une enquête de Séverin Guillard, lorsqu’on parle de scène dans le monde de la musique, il faut aussi prendre en compte une interprétation qui “peut désigner une culture locale, produite par des ensembles de personnes qui interagissent entre elles à une échelle géographique réduite, et qui possèdent un certain nombre de traits caractéristiques. La scène est alors liée aux identités des groupes et des lieux qui s’expriment à une échelle locale.” La culture se forge ainsi avec la création d’un sentiment d’appartenance et à force de relations entre les “scènes” de différents territoires.

En cela, les vêtements peuvent aussi devenir des marqueurs de la gentrification de certains quartiers. Ainsi, les bourgeois bohèmes ont un style vestimentaire reconnaissable, avec des vêtements accès sur le confort, l’équité et l’écologie, tout comme les jeunes hipsters dont le style vestimentaire est également très marqué avec leur typique chemises à carreaux ou en jean, le fait qu’ils portent des bretelles et leur barbe bien taillée. Originaire du quartier de Brooklyn, ce style se retrouve également dans d’autres quartiers du monde comme dans le sud du quartier Pigalle à Paris, d’où son acronyme NewYorkais SoPI, avec ses boutiques hipsters et sa rue des martyrs qui enchainent les épiceries fines et les concepts-stores.

Coffeshop à Belfast via Unsplash @heftiba

Le style vestimentaire peut aussi être révélateur de tensions urbaines. Pour rester en sécurité, il vaut mieux parfois cacher sa richesse dans certaines villes où les écarts entre riches et pauvres sont forts et les tensions vives. Car la montrer, dans ces pays particulièrement inégalitaires, peut-être un appel à la violence. Ainsi, il fut un temps où il n’était pas rare d’entendre dire qu’il ne valait mieux pas porter de bijoux en or, comme par exemple à Rio de Janeiro, au risque de subir un vol à l’arraché. Aujourd’hui, un peu partout, les pickpockets se recentrent sur les technologies high tech comme les smartphones. Mais la tenue vestimentaire reste un signe évocateur du niveau de vie et du statut d’un citadin, comme les vêtements et les accessoires de marque.

Ainsi, selon le quartier que l’on visite, il n’est pas rare que les habitants pensent à porter certaines tenues pour se fondre dans la masse. Il paraît évident que dans un quartier défavorisé comme le Bronx ou les favelas, une tenue extravagante comme une tenue très chic peuvent attirer l’attention sur l’identité et la non appartenance d’un individu à un lieu précis. De même, il est probable d’attirer l’attention avec une tenue atypique dans les quartiers chics. Ainsi, d’un coté ou de l’autre, le style peut avoir une connotation positive ou négative selon le point de vue et la perception qu’on peut s’en faire.

D’ailleurs, le streetwear, avant de devenir un style vestimentaire à la mode depuis une dizaine d’année, a longtemps été un moyen pour les classes défavorisées de détourner le style vestimentaire des classes les plus aisés. C’est aussi le cas du style English casual en Angleterre, mix entre la culture hooligan et la culture dandy, qui permet à la fois, inconsciemment d’attirer l’attention sur un problème d’ordre social mais aussi, par l’achat de vêtement particulièrement onéreux, de se comparer et de montrer un certain statut social. Ainsi, le style vestimentaire est une revendication mais aussi une manière de se mettre en valeur.

Le rôle du vêtement dans l’espace urbain : pour se cacher ou se montrer ?

Le vêtement se porte pour cacher sa nudité, mais souvent il révèle une part de nous. Entre intime et social, il est l’un des liens qui nous unit aux autres. Il permet de se montrer au monde, et par cela, il donne une certaine image de soi aux autres. Il s’agit alors souvent d’affirmer son identité. Car porter un vêtement, c’est être en quête d’une certaine appréciation, construire une perception. Alors le vêtement devient un lien entre soi-même et l’extérieur, devenant un outil social nous reliant aux autres, tout comme un moyen d’exprimer sa personnalité.

Le style vestimentaire révèle l’appartenance à un groupe. C’est en voyage à l’étranger que la différence peut être la plus étonnante, même si nous n’avons pas conscience à priori de l’unicité vestimentaire qui révèle notre propre nationalité, nous remarquons tout de suite différentes particularités vestimentaires qui les différencient. Ainsi, le vêtement peut être en accord avec son environnement urbain et sa culture, et d’ailleurs, les stéréotypes identifient souvent une tenue vestimentaire à une ville. Le Parisien peut s’identifier par le port de la marinière et de derbies. Le New Yorkais par l’utilisation de la chemise à carreaux et des lunettes de soleil. Le Suédois par ses vêtements minimalistes et pratiques.

De même, la liberté vestimentaire d’un pays à l’autre diffère et révèle le plus souvent un pan de la culture et de l’histoire. C’est comme s’il fallait se fondre dans le décor urbain où nous vivons. A Paris, la tenue vestimentaire est plus stricte qu’à New York par exemple. La ville étant la capitale de la mode, ses habitants “doivent” s’habiller élégamment. Pour cela, les habitants ont tendance à porter des vêtements sombres comme le noir pour éviter les fashion faux pas. A New York, la tenue vestimentaire est souvent plus libre, avec un mélange des genres qui s’explique par son passé migratoire et la revendication de la liberté d’expression. A Londres, la jeunesse est connue pour s’être lâchée afin d’affirmer ses individualités face au conformisme et à la politique conservatrice de Thatcher. En Suède, le minimalisme, la praticité et les touches de couleurs l’emportent pour révéler l’esprit chill et joyeux des Suédois. C’est d’ailleurs d’abord sur son contexte que le vêtement est jugé. C’est avec l’histoire, la culture et la ville qu’il devient une icône et s’externalise à l’étranger comme le “must” du moment.

D’un autre côté, les tenues vestimentaires peuvent révéler des fractures sociales plus profondes. Les tenues des hommes et des femmes ont évolué avec le temps et même si aujourd’hui la mondialisation à tendance à uniformiser les styles, cela n’empêche pas que des règles implicites spécifiques subsistent un peu partout et qu’elles se différencient parfois entre les pays, pour des raisons de culture, d’image ou de sécurité.

Par exemple, la tenue vestimentaire des femmes révèle leur rapport au monde urbain et souvent aussi leur pratique de la ville. Parfois, considérées comme fautives des attaques dans l’espace public dont elles peuvent être victimes comme le harcèlement de rue ou les agressions, leur manière de s’habiller peut entrer en ligne de compte dans les accusations. Pour éviter d’être attaquées, elles choisiront des vêtements qui font moins controverses, ou au contraire, quand la ville le permet, elles porteront des vêtements où elles se sentent libres afin de s’affirmer. Parfois, elles auront tendance à se rendre le moins visibles dans l’espace urbain pour éviter tout accrochage ou rencontre désobligeante. Ailleurs, comme en Irak, on parle même de police de la mode qui veut imposer la tenue vestimentaire aux femmes, mais aussi aux hommes. En voie d’occidentalisation, les jeunes changent de tenues ce qui ne ravit par leurs aînés, pour la plupart conservateurs.

Si la tenue des femmes a beaucoup évolué dans certains pays, ce n’est pas vraiment le cas de celle des hommes. Ces derniers, si on fait abstraction des kilts écossais, des djellabas marocaines, des kimonos d’aïkido ou quelques autres exceptions, vivent toujours des injonctions sur certaines pièces vestimentaires comme la robe ou la jupe qui sont quasiment inexistants de l’espace public. Mais alors, certains styles n’auraient-ils pas leur place dans l’espace urbain ? Dans les changements de rapport au monde, la mode transparaît en premier. À première vue anodine, elle révèle pourtant beaucoup de nos sociétés et du rapport entre le privé et le public dans l’espace urbain.

Le style vestimentaire transparaît dans l’organisation de la ville et change au fil du temps, des cultures et des tendances urbaines. La mode révèle ainsi la personnalité, les convictions, les appartenances à des groupes et peut également être en dire plus sur les  lieux géographiques ou les scènes urbaines que les individus fréquentent. Le décor urbain est finalement un peu comme un accessoire de mode, presque indispensable au message qui veut être transmis.

Aujourd’hui, une nouvelle tendance est en vogue, celle de l’Easy wear. Caractérisé par des vêtements amples, chaleureux et superposés, ils donnent un effet de mise à l’abri et rappelle la tendance cocooning. Son retour cet hiver 2018-2019 marque un nouvel attrait pour le confort, mais ne serait-il pas aussi le reflet de l’insécurité grandissante des villes ?

Superposition de vêtements style Easy wear, photographie par ChuXue Lu, @luchuxue1997

Image de couverture : Raleigh-Durham International Airport, Morrisville, United States, Chad Walton, @chadwiq