La technologie semble nous faciliter la vie. Chaque nouvelle application disponible permet d’ailleurs de réaliser que nous avons toujours plus besoin d’aide. Gérer son budget, rembourser ses amis, vérifier la qualité de sa nourriture, envoyer des cartes postales… Tout passe par ce merveilleux couteau suisse qu’est notre portable. Aujourd’hui, 80% des français possèdent un smartphone. Et selon l’étude Baromobile d’Omnicom Media Direction, nous passons 1h42 par jour les yeux rivés sur ce dernier, soit en moyenne 26 jours par an ! Le téléphone portable fait donc bien parti de notre quotidien !
Quand la ville nous rend ultra-connectés
En plus de nos téléphones qui nous géolocalisent en permanence, les objets que nous utilisons sont eux aussi de plus en plus connectés, voire automatisés. Les lampes-enceintes, les bluetooth-rafraichisseur de vin s’installent sur le marché, les lunettes de soleil permettent désormais de passer des coups de fil, les aspirateurs et tondeuses à gazon sont programmés pour agir en autonomie et nos compteurs électriques calculent à notre place notre consommation d’énergie… Et puis, en dehors de notre espace de vie, nos ordinateurs sont majoritairement notre principal outil de travail. Ainsi, quelle que soit notre activité professionnelle, nous sommes contraints d’être connectés. De retour chez nous, des abonnements nous permettent d’accéder à une multitude de films ou de séries, sans lever le petit doigt. Une chose est sûre, nous sommes ultra-connectés.
Est-ce qu’habiter en ville accroît ce phénomène ? Il est vrai qu’en ville, nombreuses sont les occasions pour utiliser son portable : nos temps de transport ou encore les temps d’attente sont souvent l’occasion de checker nos mails ou de “faire un tour” sur les réseaux sociaux. Vient s’ajouter à cela, le fait que les villes sont au cœur de la mondialisation et demeurent en contact permanent avec le reste du monde.
Dans la course à l’ultra-connectivité, preuve de modernisme et de dynamisme, elles cherchent à se démarquer des autres métropoles en innovant toujours. Des réseaux sociaux à l’utilisation de l’intelligence artificielle, nous serions plus influencés en ville à utiliser des outils numériques. Les technologies se sont d’ailleurs adaptées, dans les dernières décennies, pour aider les citadins à optimiser leur façon de pratiquer la ville. Trouver sa route, commander un repas, payer dans un magasin, acheter son titre de transport, payer sa place de stationnement… Si le digital nous fait gagner du temps et nous rend plus mobiles, il nous pousse aussi à être de plus en plus dépendants de nos “mobiles”.
Dans cet engrenage, les villes elles-mêmes s’adaptent à la high-tech par divers moyens tels que des bornes wifi dans les espaces publics, la 4G dans le métro, les abribus avec prises de courant ou encore les explications touristiques par flashcode… La ville est hyper “connectée” et nous connecte de plus en plus avec ceux qui partagent le même mode de vie que le nôtre. Une logique urbaine qui peut, malheureusement, mettre de côté une partie de la population plus précaire ou plus âgée qui n’aurait pas accès à la multitude d’offres apportées par la technologie…
Les effets néfastes de cette sur-connexion sur nos comportements
L’omniprésence des téléphones portables, bien qu’elle semble indispensable, peut se révéler dangereuse. En effet, on dénombre beaucoup d’accidents de la route dûs à un regard furtif sur un sms reçu ou à un appel au volant. En Chine, c’est un constat sans appel: la sur-connexion est telle, que certaines villes comme Wenzhou ont interdit aux passants de traverser la rue en regardant leur téléphone, sous peine d’amende. Dans la ville de Xi’an, on est plus compréhensifs avec les addicts de l’écran: une voie leur est même réservée pour continuer à scroller en marchant, sans crainte. En Corée du Sud, on utilise même la technologie pour protéger des risques liés à l’utilisation de… la technologie : des passages piétons connectés alertent les passants en leur envoyant un texto du danger encouru.
Cette addiction au téléphone portable est récurrente; elle tend indubitablement à croître et entraîne ce que l’on appelle la nomophobie: contraction de l’anglais no mobile phone phobia, autrement dit la peur de se retrouver sans téléphone. Le constat est grave, puisqu’il signifie une véritable perte de confiance en soi et un stress provoqué dès lors que nos portables sont loin de nous, sans batterie, ou que cela fait un moment qu’on ne les a pas consultés. Leurs fonctionnalités multiples auraient réussi à nous faire croire que nos portables nous sont indispensables…
Leur sollicitation excessive joue aussi sur notre psychisme. Nos sens sont sollicités en permanence, visuellement et auditivement, et le flux d’informations déferlant notre système cognitif à la vitesse de la 4G met nos émotions en branle: d’une vidéo à une autre, on passe du rire à l’inquiétude et de l’émerveillement aux larmes. Notre concentration et notre attention à ce qui nous entoure peuvent alors être impactées. Les instituteurs sont d’ailleurs les premiers à faire le constat que chez les enfants : nous faisons face aujourd’hui à une grande crise de l’attention.
Cette sur-sollicitation arrive parfois à saturation. Que ce soit en ville avec les panneaux publicitaires numériques ou simplement au travail, la sur-sollicitation amène bien souvent à un surmenage et à une immense montée de stress. Depuis peu, on revendique en entreprise ce “droit à la déconnexion”. Celui-ci préconise de cloisonner temps professionnel et temps personnel pour que dans la soirée, en week-end, en vacances, les données liées à l’entreprise cessent de nous solliciter ou de nous occuper l’esprit. L’avènement de la technologie ces dernières années a permis une nouvelle façon de travailler depuis chez soi, connecté à ses collègues par internet: le fameux “télétravail” a le vent en poupe. S’il ne diminue pas notre hyper-connexion, il participe aussi à brouiller la frontière entre espace “pro” et espace “perso”.
La technologie est omniprésente dans notre quotidien – Crédit photo ©Joseph Gruenthal via Unsplash
Dans des villes où les lieux de travail et les lieux personnels se confondent et deviennent flous, les esprits risquent le surmenage en restant finalement sans cesse au travail. La déconnexion doit parfois être recherchée et forcée. Mais comment y parvenir ? Une entreprise française nommée Mailoop a peut-être une solution : celle-ci cherche à instaurer une “smart deconnexion” dans les milieux professionnels, en proposant un système de bouclier contre les notifications professionnelles à des moments jugés réservés à la vie personnelle.
Bon an mal an, le télétravail vient tout de même réduire les déplacements pendulaires que subissent parfois les villes. Il y a en cela un paradoxe avec la ville. Celle-ci étant un espace public, elle ne nous renvoie ni au cercle professionnel, ni au cercle personnel. Elle est un espace transitoire et commun, où nous sommes de passage. En cherchant à être toujours plus attractif et agréable, l’espace urbain facilite alors l’hyper-connexion qui fait partie de nos quotidiens, engendrant ainsi plus de stress et des citoyens toujours plus pressés. Peut-être pourrions nous imaginer que les villes soient moins oppressantes si nous parvenions à faire de la déconnexion un objectif en soi ? La déconnexion serait alors un moyen de se réapproprier la ville, d’interagir de nouveau avec ceux qui nous entourent et de sortir ainsi de l’isolement dans lequel nos téléphones nous mettent parfois.
Et si on se connectait autrement ?
Le jeudi 6 février, a lieu la journée mondiale sans téléphone portable. Depuis 2001, cette journée propose de réfléchir sur ce que change le téléphone à nos comportements, là où à l’époque, il ne servait qu’à téléphoner. Mais à l’heure de nos mobiles super intelligents, sommes-nous encore aptes à nous en décrocher ne serait-ce qu’une journée ? Voire une demi-journée ? On vous met au défi !
Imaginez-vous, dans la rue, en train de lever la tête vers ce bel immeuble dont vous n’aviez pas vu la rénovation juste à côté de chez vous, ou en train d’admirer un tableau dans une vitrine, une pièce-montée chez le pâtissier, cette nouvelle piste cyclable… Nos villes sont sans cesse en mouvement, alors fort à parier qu’en levant le nez de nos écrans, nous remarquerons ces changements. La déconnexion semble être un bon moyen de s’approprier une ville, ou son quartier. En scrutant les petits détails, outre le fait qu’on apprend beaucoup de choses, notre mémoire et notre énergie sont stimulées.
Autre phénomène: nous sommes dépendants de nos GPS pour nous déplacer. Nos portables sont devenus nos boussoles, en toute circonstances, ces derniers nous emmènent à bon port. Résultat: sans batterie, on ne bouge plus de chez soi, car nous sommes devenus «intolérant aux incertitudes» comme l’explique la psychologue Stéphanie Bertholon. Nos téléphones auraient remplacé notre appropriation et notre connaissance de la ville, et puisqu’on se laisse sans cesse guider, on se fait de moins en moins confiance lorsqu’il s’agit d’une situation nouvelle.
Un autre phénomène se déclare aussi souvent en ville et à plus forte raison dans les grandes villes: on accuse souvent les habitants d’être pressés et désagréables, sans pour autant chercher à sortir du lot. Mais qu’est-ce enfin qui nous irrite ?
D’un point de vue de la santé, le stress est une des conséquences de notre hyper-connexion. Alors que les smartphones sont censés pouvoir rassurer les anxieux, ils ne font en réalité que déplacer leur stress. Paradoxalement, on se laisse faire par ce trop plein d’informations, de lumières et de sons et cela augmente notre addiction… Une étude récente de « deux semaines sans s’endormir avec son portable » prouve d’ailleurs que la qualité du sommeil est décuplée et que notre attention aux choses et aux gens se voit améliorée par des utilisations raisonnées du téléphone.
Mine de rien, la ville tend à nous sensibiliser à la déconnexion. Les campagnes de publicité en ville, dans les transports en commun ou dans la rue sont éloquentes: « La meilleure façon d’utiliser son smartphone ? Le mettre dans sa poche et parler à son voisin » affichait un opérateur de téléphone dans certaines gares récemment. Ces campagnes de sensibilisation nous aident à prendre conscience que notre déconnexion est aussi nécessaire qu’urgente, tant pour notre santé que pour nous sortir d’une certaine forme d’isolement dans laquelle les smartphones nous mettent. Des propositions comme celles du collectif Lève les yeux, sont de labelliser le plus de lieux possibles où l’usage du smartphone sera limité, voire interdit.
Parmi ces lieux, certains bars et restaurants ont inventé des concepts intéressants: dans un petit restaurant à Los Angeles, on a une réduction de 5% sur la note si on laisse son téléphone à l’entrée. Dans l’Hérault, au sud de la France, les clients d’un restaurant se font imposer des cartons jaunes lorsqu’ils enfreignent les “conditions générales de la maison”: la digital détox, afin d’entretenir les échanges familiaux et intergénérationnels.
Actuellement, la polémique est à l’arrivée de la 5G. Celle-ci fluidifiera considérablement les échanges de données (les accélérant par 10) et changera radicalement notre accès à internet, tout en ayant potentiellement un impact sur notre santé. De façon certaine, elle aura des conséquences sur l’écologie parce qu’elle nécessiterait des centrales de stockage des données encore plus pointues…
Alors avant que la 5G vienne bouleverser nos quotidiens et nous rende peut-être encore plus connectés, osons la Journée mondiale sans téléphone portable pour interroger notre relation à la technologie et comprendre une chose: à quoi voulons-nous nous re-connecter? À la sensation de lire un livre dans le métro ? Au lien avec son voisin de palier ? Au plaisir d’étudier une carte de la ville avant de sortir ? À des discussions sans intermédiaire ? Ou au fait de profiter pleinement de ses amis sans poster une photo sur Instagram au même moment, peut-être… Vive la liberté !
Crédit photo de couverture ©Mika Baumeister via Unsplash