Par leur concentration en habitants, qui implique une concentration de la consommation, la ville génère en effet des volumes de déchets importants. Souvent accusées d’en produire à outrance, les villes ne pourraient-elles pas, au contraire, jouer un rôle clé dans la création d’un écosystème vertueux et dans le réemploi, pour une ville zéro déchet ?
Comment gère t-on les déchets en ville ?
Selon la loi, un déchet est une substance ou un objet que l’on décide d’éliminer, qu’on a l’intention d’éliminer ou que l’on est tenu d’éliminer en vertu des normes et dispositions légales, à l’échelle nationale ou internationale. Un déchet est donc un objet ou une substance en fin de vie, ou assez dégradé pour ne plus présenter d’utilité à son usager ou son propriétaire. En ancien français, le mot déchet signifiait ainsi la masse ou la quantité de bien perdue au cours de son utilisation. Le mot soulignait donc déjà une altération avancée de l’objet ou de la substance en question.
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Historiquement, il faut rappeler que la collecte des déchets s’est longtemps effectuée de manière assez sommaire. Dans l’Antiquité, les grecs et les romains emportaient leurs déchets hors de la ville, dans de grandes fosses – un peu sur les modèles de nos déchetteries actuelles-. Le bas Moyen-Âge connaît la toute première vague d’urbanisation. Avec la densification des villes et de leurs habitants, les déchets se multiplient dans l’espace public. À l’époque, pour se débarrasser des ordures, on se contente en effet de les jeter dans les fleuves ou dans la rue.
C’est alors que l’urbanisme commence à se saisir de la question. Philippe Auguste, en 1185, décide de paver certaines rues et de créer des fossés à ordures afin de lutter contre les odeurs nauséabondes. Les rues des villes sont, petit à petit, pavées et ornées de caniveaux. Ce n’est enfin qu’en 1343 que les premiers fossés sont couverts afin d’évacuer les déchets. Cependant, la gestion des déchets devient de plus en plus complexe. A Paris, la Seine, véritable égout, continue de récolter l’ensemble des déchets urbains. Les caniveaux, eux, accueillent davantage les excréments. Après plusieurs épidémies de peste, une ordonnance finit par imposer des normes d’hygiène dans les maisons en 1531 : désormais chaque maison doit se doter d’une fosse. Face à la désinvolture des urbains, le droit pénal prend la relève : tout citadin jetant ses ordures sur la voie publique se voit condamné. L’hygiène de la ville devient donc une véritable urgence pour lutter contre les épidémies et assurer un cadre de vie plus sain.
Au XVIIIème siècle, apparaissent les premiers chiffonniers, des individus récoltant toutes sortes de déchets pouvant être recyclés : textile, os, graisse, cheveux… On pourrait dire qu’ils sont de lointains ancêtres des éboueurs ou des recycleurs. Ils exercent d’ailleurs leurs métiers en France jusque dans les années 1960. Fin XVIIIème, les rues continuent d’être envahies par les déchets. Heureusement, le XIXème siècle voit l’installation quasi-systématique de fosses sous les maisons, la mise en place d’égouts et de récolte des eaux usées. La poubelle est inventée en 1884 par Eugène Poubelle. Il s’agit d’un tournant dans l’histoire des déchets urbains. En effet, elles vont par la suite impulser des systèmes de récolte régulier en ville, pour être acheminées vers des centres de traitement ou de grands tombereaux. La collecte et le traitement des déchets commencent alors à être organisés à l’échelle de l’ensemble de la ville. Petit à petit, on crée des incinérateurs à déchets, souvent hors des villes.
À la moitié du XXème siècle, la question prend alors un tout autre aspect, et est mise au cœur de la politique : les pouvoirs publics, notamment les mairies, commencent à légiférer à ce sujet. La problématique environnementale, qui émerge également, accélère le développement de nouvelles solutions afin de gérer les ordures et les déchets à l’échelle des villes.
En France, la première loi d’ampleur nationale au sujet des déchets est passée le 15 juillet 1975 : toute commune se voit désormais obligée de collecter les déchets, principalement les déchets ménagers. En 1992, le traité de Maastricht place au cœur des politiques européennes la question de l’environnement. En France, la loi Royal passée cette même année impulse pour la première fois le tri en ville : c’est la naissance du recyclage, à proprement parler. Avec le rapport Brundtland et le traité d’Amsterdam (1987 et 1999), on durcit les mesures à l’encontre des “pollueurs”, qui doivent désormais payer en cas de non-respect des normes environnementales dans la gestion des déchets. Enfin, après 2015 et les accords de Paris, les pays signataires s’engagent entre autres à réduire la quantité finale de déchets produite de 50% d’ici 2050. Des enjeux forts pour répondre à une urgence environnementale.
Quels sont les enjeux de la gestion des déchets en ville ?
En ville, le déchet peut prendre plusieurs aspects. S’il est souvent associé aux poubelles, il peut également se décliner sous plusieurs autres formes : déchets électroniques et ménagers, déchets de construction, déchets textiles, déchets alimentaires, obsolescence programmée des matériaux et des bâtiments. Voici quelques chiffres évocateurs : chaque année, les français génèrent en moyenne 514 kg de déchets, un chiffre dans la moyenne si l’on compare aux autres pays européens. Ce sont 41 tonnes de nourriture qui sont mises à la poubelle chaque année dans le monde et l’équivalent de 442 millions d’euros de textile sont jetés chaque année dans l’hexagone. À l’origine de ce gâchis, on trouve en première ligne les industries, la grande consommation et les villes.
L’urbanisation représente un fort enjeu pour la gestion des déchets. La population urbaine mondiale a foncièrement augmenté ces dernières années, pour atteindre environ 3 milliards de personnes. Selon la Banque Mondiale, l’ensemble de ces citadins génère 1,3 milliards de tonnes de déchets par an ! Les villes, à la fois denses et perçues comme des antres de la consommation, sont donc souvent mises en cause pour leur impact écologique, tout particulièrement du point de vue des déchets. Anne Sophie Louvel, directrice du service de collecte sélective de Citéo témoigne dans ce sens : “on trie deux fois moins bien en ville qu’à la campagne”. Rien de si étonnant lorsque l’on voit quels types de déchets, improbables, on peut retrouver dans des endroits comme au fond du canal St Martin à Paris, lors des épisodes de vidange. WC, baignoires, canettes, vélos, chaussures… Des déchets coulés qui révèlent une certaine nonchalance des citadins à l’égard de leur environnement. Pas de quoi condamner tous les citadins bien évidemment. D’ailleurs, la mairie de Paris a affirmé que lors de la vidange du canal en 2016, moins de déchets avaient été retrouvés qu’en 2001. Un changement des mœurs dans les nouvelles générations à l’égard de la gestion des déchets et de leurs impacts sur l’environnement, ainsi que le durcissement des amendes en cas d’abandon de déchets sur la voie publique sont sans doute à l’origine de ce changement.
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Avec prise de conscience de la question écologique dans les années 1980, la gestion des déchets s’est petit à petit institutionnalisée et organisée. Plus récemment, face aux cris d’alarme sur la question environnementale dans les années 2010, les problématiques de la gestion des déchets se sont imposées comme un sujet majeur dans les villes. Jusqu’à devenir, pour les citoyens, un droit fondamental d’accès à la propreté dans les centres urbains. La collecte et le tri des déchets en ville se sont également imposées comme un devoir élémentaire de citoyen. On a donc pu voir une extension de la question à d’autres domaines que les problématiques de poubelles uniquement. Ces dernières années, des protestations contre les déchets dans le secteur du bâtiment, mais aussi dans la filière textile, ou encore dans le secteur alimentaire se sont multipliées, afin de dénoncer la quantité pharaonique de déchets rejetés dans nos villes et leurs environnements proches.
La collecte des déchets pose aujourd’hui certains problèmes de gouvernance. Souvent pris en charge par les services publics, les ordures et les déchets font parfois l’objet de convoitises. Dans les pays du Sud, et parfois dans les pays du Nord, les déchets présentent en effet une ressource importante pour le secteur informel. Dans certaines villes, du fait de leur valeur économique, les déchets sont parfois la proie de réseaux mafieux locaux. C’est par exemple le cas de la ville de Naples, où les déchets s’accumulent depuis près de 14 ans. Naples est souvent appelée la “ville poubelle”. La cause ? On soupçonne la Camorra, le réseau de mafia local, d’empêcher la collecte des déchets locaux au sein de la ville : en 2013, près de 2000 tonnes d’ordures s’entassaient dans les rues napolitaines. Un autre problème accompagne également le traitement des déchets par ces réseaux informels : le développement de maladies urbaines, liées au mauvais traitement des déchets toxiques. Un rapport du gouvernement italien rapporte ainsi l’augmentation des cancers dans la population locale depuis quelques années. Il faut dire que la région traite également de nombreux déchets venus du Nord de l’Italie. Un véritable réseau de trafic s’est donc instauré autour de la filière de traitement et de valorisation des déchets. Cette question de la gouvernance des déchets se traduit également par la souveraineté des Etats dans la gestion des déchets. De nombreux scandales ont éclaté ces dernières années, liés à l’exportation massive des déchets vers des pays du Sud, où des terrains entiers, voire des îles se transformaient en déchetterie à ciel ouvert… Une véritable catastrophe environnementale, sanitaire et éthique.
Il est aujourd’hui question de parvenir aux 4 “R” : Réduire, Recycler, Réutiliser et Repenser l’utilisation des déchets, afin d’assurer un traitement plus durable des ordures à l’échelle de nos villes.
Comment faire demain pour aller vers une ville zéro déchet ?
Ces dernières années, les choses semblent avoir bien changé. L’intégration de la problématique environnementale à la fabrique urbaine et dans les usages de la ville semble s’être imposée comme un passage obligatoire. À l’échelle des pouvoirs publics, des associations comme des citoyens, de nombreux projets permettent désormais de contrôler ce que Marie-Françoise Guyonnaud et Mélanie Berland dénomment “le métabolisme urbain” : l’ensemble des flux entrants et sortants dans une ville.
De nombreux pays ou initiatives se montrent inspirants de ce point de vue là. Par exemple, la Suède se distingue par de très faibles quantités de déchets enfouis : la majorité des déchets ménagers sont en effet compostés lorsqu’ils sont organiques. Le faible pourcentage de déchets qui est incinéré sert à alimenter en électricité et en chauffage pour 20% des ménages et foyers urbains du pays. La logique est ainsi de limiter au maximum la quantité de déchets produite. Lorsque ces derniers ne peuvent plus échapper à l’incinération, l’énergie fournie par les incinérateurs est récupérée et revalorisée à d’autres fins. Une forme de cercle vertueux.
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D’autres systèmes, fondés sur une consommation plus circulaire et locale, permettent de réduire les déchets urbains. À Toulouse, le “drive tout nu” s’attelle à proposer chaque jour des aliments sans emballage, dans un grand drive de vrac. Ce type d’initiative permet de diminuer à terme les déchets, en ne proposant que des déchets organiques : tous les contenants sont réutilisables après la première utilisation. Ces déchets organiques, ils sont justement de plus en plus facilement récoltés au sein des villes. De petites entreprises comme Ouivalo ou encore les Alchimistes mettent à disposition des bacs de récupération de compost, qui sera souvent par la suite transformé et mis à disposition d’agriculteurs, ou vendu. À Nantes par exemple, Ouivalo a lancé l’opération “sos compost confinement” afin de rester mobilisés pour la récupération et revalorisation de déchets organiques même pendant le confinement..
Du point de vue du recyclage, on voit de plus en plus apparaître des recycleries ou des ressourceries sur le territoire français. Ces dernières permettent de récolter meubles, vêtements, objets, afin de leur redonner une seconde vie et de les revaloriser. Ce système de recyclage de matériaux existe également dans le secteur de la construction. L’association Faire avec, réemploie des matériaux afin de construire et rénover des logements insalubres ou vétustes.
À l’échelle de la ville, nous devons donc apprendre à revaloriser nos déchets au-delà de les limiter. Ce concept peut s’appliquer à l’urbanisme, à l’architecture et à la fabrique de la ville dans son entièreté : en effet, réduire les déchets urbains, c’est aussi penser à l’obsolescence programmée de nos villes, de nos bâtiments. Au lieu de détruire et de jeter, nous pouvons ainsi penser à transformer ! Avant de devenir un “déchet”, les objets, les biens, les substances sont en effet souvent réutilisables, encore plus à l’échelle de villes entières… Alors pourquoi ne pas développer des réseaux locaux de récupération et de valorisation des déchets ? Bien sûr, la ville zéro déchet semble être utopique, mais nous pouvons nous en rapprocher petit à petit : chaque pas compte !
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