Quand la religion s’invite en ville !

On le sait tous, certaines villes sont fortement associées à une pratique religieuse, comme par exemple celles structurées autour des pèlerinages, Lourdes, la Mecque, Jérusalem, Bodh Gaya en Inde, et bien d’autres à découvrir d’ailleurs dans notre portfolio sur le sujet. Beaucoup de villes se sont structurées autour de temples, qu’il s’agisse d’Angkor ou même Mexico, mais sans partir trop loin, en France, notamment au Moyen-Age, la religion revêt une part importante dans le développement des villes, avec le développement d’édifices parfois d’ampleurs considérables.


Cité d’Angkor wat au Cambodge, structurée autour de différents temples

Au delà des lieux symboliques, la ville est aussi le lieu des processions, de l’expression religieuse lors de grands évènements liés aux cultes. On peut citer par exemple le nouvel an chinois, Fête de Ganesh, les processions de Pâques en Espagne ou de l’Ascension au Portugal, et bien d’autres dans le monde… Ces fêtes sont souvent l’occasion de partager les festivités avec l’ensemble des habitants de la ville. Ce sont des moments de la vie de la cité qui sont libres d’accès à tous, sans distinction.

Fête de Ganesh à Paris en 2012

Lieux de culte, chacun sa méthode

Il existe des formes de séparation du pouvoir politique et de la religion propre à chaque pays, du fait de leur histoire et des particularités de chacun d’entre eux. En France, en vertu de la loi de 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État, « la république ne reconnaît ni ne subventionne aucun culte». Autrement dit, selon la loi, les édifices religieux français ne peuvent pas être financés par de l’argent public. Une spécificité française puisque par exemple, nos voisins allemands appliquent un impôt cultuel, nommé “Kirchensteuer”, une taxe prélevée directement sur les salaires et reversée aux religions reconnues. Cette taxe concerne 8 à 9% de l’impôt sur le revenu selon les régions.

Régulièrement, le débat du financement des lieux de culte resurgit. Entre le principe de laïcité qui ne reconnaît aucune religion et la demande de certaines communautés pour l’acquisition d’espaces de culte, les avis divergent dans les politiques de la ville, notamment parce que la demande est parfois forte.

Certains projets émergent cependant, comme par exemple le premier « quartier cultuel » français actuellement en construction à Bussy Saint-Georges. Alors qu’en 2012 la plus grande pagode bouddhiste d’Europe (Pagode Taïwanaise Fo Guang Shan) a été inaugurée, elle sera désormais accompagnée d’une mosquée, d’une pagode lao, mais aussi d’une synagogue et d’un centre cultuel et culturel arménien. Des édifices voisins pour la rencontre des communautés et approche de vivre ensemble situés à quelques centaines de mètres de l’église catholique Notre-Dame du Val de Bussy construite dans les années 90, lors du développement de Bussy-saint-Georges. D’ailleurs, on parle dans un article de l’House of one de Berlin qui va plus loin dans le rapprochement en proposant un lieu de culte unique pour les religions chrétienne, musulmane et juive.


Centre cultuel de Bussy-saint-Georges, BYM Architecte

Par ailleurs, dans les villes, il n’est pas rare de voir des lieux de culte changer de destination. A l’image de la mythique Sainte Sophie qui est passé de Basilique à Mosquée, en lien avec l’histoire de la capitale turque, qui de l’orthodoxe Constantinople et devenue l’ottomane Istanbul, ou encore de certaines églises irlandaises ou écossaises devenues des boutiques de souvenirs (Dublin) ou des boîtes de nuit (Glasgow).

Les villes, cristallisation des tensions et des richesses religieuses

La ville est par essence un lieu d’échanges et de rencontres où les communautés aux cultures diverses s’entrechoquent. Les symboles religieux peuvent alors cristalliser certaines tensions, notamment quand des conflits entre communautés émergent, comme ça pu être le cas avec les récents attentats qui ont fait par exemple augmenter le nombre d’actes xénophobes envers les musulmans.

Au cours du temps, certaines communautés, pour des choix politiques répressifs ou économiques, ont pu être relayées dans certains endroits dans les villes. C’est ainsi que certains quartiers juifs, musulmans ou encore chrétiens sont nés dans des villes où vivaient alors des communautés religieuses minoritaires. On peut d’ailleurs souligner la richesse urbaine de ces quartiers, comme par exemple le quartier juif de Budapest, devenu le plus vivant de cette ville entre Occident et Orient. D’ailleurs, leur héritage est désormais, au delà de l’approche religieuse, davantage culturel. Dans les villes françaises, les édifices religieux chrétiens sont autant des lieux de culte, que des lieux de patrimoine et d’histoire.


Quartier juif – Budapest ©Capucineee.com

Aujourd’hui se joue donc le défi de faire évoluer nos villes vers toujours plus de bien vivre ensemble, où chacun puisse s’y sentir à sa place, peu importe sa confession. La religion n’a plus la place centrale qu’elle pouvait avoir auparavant, parce que les croyances sont multiples, mais aussi car la société, et donc les villes, prennent source dans des valeurs citoyennes et républicaines, et non plus religieuses. En France, la cité s’est détachée du culte pour devenir culturelle et laïque, un tout qui intègre l’ensemble des individus de manière universelle.

Les velléités démocratico-urbaines : cette nouvelle laïcité urbaine

Ainsi, alors que la ville pouvait auparavant être structurée autour de l’église centrale, elle l’est désormais autour de lieux aux symboles davantage rassembleurs, comme l’ancienne “agora” aujourd’hui retrouvée, ces lieux où se rencontrent la société civile et où chacun peut exprimer sa citoyenneté, en résumé, les espaces publics, la rue et les places que l’on souhaite pour beaucoup retrouver. La ville est devenue laïque, à un moment où les urbains ont souhaité la retrouver et l’on peut espérer qu’elle même devienne un symbole spirituel ou tout au moins d’engagement, en représentant une identité bien particulière et des valeurs universelles partagées, comme le respect, le vivre ensemble et pourquoi pas l’urbanité.

S’il devait donc y avoir une laïcité urbaine, peut-être pourrait-on alors aujourd’hui la trouver dans la volonté de plus en plus grande des habitants des villes de se préoccuper de leurs lieux de vie, par conséquent de leur quartier et donc de leur ville.

Que ce soit la participation croissante aux budgets participatifs, l’éclosion des civic-tech, ou encore celle des applications d’entraide en ou même encore la protestation pour des projets urbains, il y a une sorte de nouveau rite urbain qui s’installe et d’ailleurs non pas en contradiction avec les religions. En résumé, œuvrer ensemble pour l’urbanité ne serait-il pas aujourd’hui la concrétisation d’une certaine forme de laïcité urbaine ?