“Je suis née en Algérie, je suis donc très attachée à ce pays.” Souâd Belhaddad nous raconte les liens fort qu’elle entretient avec Alger qui représente les nombreux endroits qu’elle a parcouru, investi, ainsi que la ville la plus liée à son vécu. Les évènements actuels en Algérie suscitent en elle “une grande joie” avec certes, quelques points d’interrogations et des appréhensions aussi “car on ne sait jamais d’avance ce que nous réserve l’Histoire”. Mais l’enthousiasme des derniers évènements dans la capitale Algérienne l’emporte. “Mon premier sentiment a été celui de la surprise. Tous ces évènements ont suscité une vive émotion en moi.”
Elle rappelle combien l’Algérie a subi un terrible traumatisme avec la guerre civile. Un passé qui a laissé des traces et qui a tétanisé le peuple algérien.
“Ce pays était dans un traumatisme tellement profond, avec aussi de grandes difficultés, alors on ne le regardait plus. Et puis … alors que l’on n’espérait plus que quelque chose se passe, c’est là que cela émerge, comme un exemple à suivre, en plus ! Cet effet de surprise m’émerveille.”
Souâd évoque aussi les bouleversements qui s’opère sur l’atmosphère de la vie urbaine. “Les algériens forment un peuple très vivant, très animé, très politisé, avec souvent des discussions vives. Cette ambiance pacifique qui se créée, elle s’accompagne d’un soin de la ville et c’est quelque chose de nouveau.” Elle s’enthousiasme des changements en cours : les habitants d’Alger se mettent à nettoyer la ville, à la décorer avec des guirlandes, à diffuser de la musique, à chanter et à danser… Une sorte de renaissance après de nombreuses années de suspens.
“L’Algérie, c ‘est un peuple profondément vivant et festifet avait enfoui ces caractéristiques à cause d’années de corruption, avec la décennie de terrorisme, avec son conflit civil et l’absence d’espoir… Là, quelque chose renait, on retrouve cette vitalité refoulée et c’est vraiment merveilleux !”, nous dit-elle. Cette ambiance festive, qui rappelle les heures de l’ Indépendance, c’est la fierté retrouvée d’être un peuple, qui, après tous ces bouleversements, ne savait plus forcément qui il était et se redécouvre, ou se retrouve. »
Hirak du 1er mars 2019 à Alger – Crédit photo ©Adjer via Wikipédia
“Décorer les rues de guirlandes et les nettoyer après les rassemblements, partager l’espace public, accueillir la pluralité des paroles,… Le message qu’adresse le peuple algérien au monde entier est celui d’une immense réconciliation avec lui-même. Les Algérien.nes comprennent enfin qu’on ne prend jamais mieux soin d’une terre qu’en prenant d’abord soin de soi.”
Extrait de l’article Medium “Algérie, oser s’aimer enfin” de Souâd Belhaddad
Un phénomène qui n’est pas né à Alger et qui a contaminé toutes les villes. “Dans cette révolution, ce que je trouve très fort, c’est cette nouvelle attention du pays envers lui-même et envers l’environnement. Je trouve ce changement de rapport à l’espace public très intéressant. ” Cela peut s’expliquer par une sensibilisation croissante des jeunes sur les questions écologiques, qui ne trouvait pas auparavant d’espaces d’expressions et qui restait minoritaire. D’après elle, le fait que les habitants prennent soin de nettoyer les rues après les manifestations et les rassemblements, révèle que les algérois se ré-approprient la ville
Elle observe que divers autres pays méditerranéens, l’attention est portée sur l’intérieur, le chez soi où l’on accueille, mais avec peu de soins apportés à la rue et au civisme. “Or là, après les marches, on s’interroge sur ce qui va rester après son passage dans l’espace public, de ce qu’on va faire des poubelles, des déchets jetés sur le sol. Les habitants prennent de nouveau soin de la rue, afin qu’elle soit propre, ils se sentent concernés. La rue, le pays leur appartiennent. C’est un nouveau rapport à la ville, aux murs, à l’environnement, qui est neuf et prometteur.”
Vivant en France, Souâd Belhaddad ne se permet ni l’analyse, ni de pronostic sur ce qui se passe. Elle suit avec ferveur tout de ce qui se dit, s’entend, se filme et les témoignages des proches. « Ainsi, l’évolution qui s’opère en Algérie passe principalement par une ré-appropriation de la rue.Après, mon interrogation est la suivante : comment cet effet de masse de ré-appropriation de la rue va demeurer dans le temps ? Surtout pour les femmes.” Pour elle, une des caractéristiques de l’Algérie demeure ses espaces publics peu familiarisés à la présence féminine. “Par exemple pour les terrasses de café, où vous indique la salle à l’intérieur, même si vous avez l’envie d’être dehors. Bien sûr, pas dans tous les cafés, mais encore dans beaucoup. Pour moi, l’enjeu principal c’est donc cette ré-appropriation de l’espace public par tous, et incontournablement, pour les femmes.”
Elle nous rappelle aussi que l’Algérie a été fortement touchée et impactée par le développement de l’islamisme. “C’est un pays qui vécu cela avec un grand isolement et un fort sentiment d’abandon. Pourtant, la ville d’Alger, par exemple, n’a quasiment pas de plaques commémoratives de cette période.” Un élément très intéressant qui pose la question de la mémoire et de comment elle s’inscrit, ou non, sur les murs d’une ville.
Pour illustrer, elle évoque le cas de la reconstruction de Beyrouth après la guerre civile, quand les autorités ont décidé de refaire le centre. Ils se sont alors posé la question : faut-il réaménager l’ensemble, faire table rase, ou bien garder la mémoire de ce passé douloureux ? “D’ailleurs, des habitants avaient proposé de conserver quelques pans de murs complètement troués pas les balles, pour se rappeler ce passé”, précise-t-elle.
Quand à la mobilisation actuelle, elle “parle d’elle-même.” Souâd témoigne de son enthousiasme et de ses espoirs.
“Je suis très respectueuse de ce qu’un peuple peut décider et construire comme destin. Il y a eu une forme de cohésion nationale sur un objectif précis : pas de renouvellement de 5e mandat. L’unanimité de personnes qui marchaient vers une même direction était impressionnante. Bien sûr, la suite peut amener à la poursuite de cette convergence, ou à une division. Pour ma part, j’ai très envie de rester dans une position d’attente optimiste. Même si, évidemment, je ressens de l’appréhension, pour autant, je ne souhaite pas y céder car il s’agit d’un tel cadeau de l’Histoire…”
Les algériens se regardent à nouveau, prennent soin de leur cadre de vie, deviennent fiers de leur héritage culturel, un ensemble de changements qui on l’espère présage un bel avenir pour ce pays et Alger. L’espace public semble alors devenir un lieu de revendication, d’expression, de lien social, un lieu dont il faut prendre soin et qu’il s’agit de s’approprier pour devenir pleinement citoyen.
On vous invite à lire l’article “Algérie, oser s’aimer enfin” de Souâd Belhaddad qui évoque cette redécouverte de soi pour le peuple algérien et le désir de reprendre soin de lui et « oser, s’aimer enfin ».
Crédit photo de couverture ©Fethi Hamlati via Wikipédia