Réfugiés climatiques, migrants environnementaux, déplacés climatiques : plusieurs termes en apparence interchangeables dont on entend parler de plus en plus depuis le milieu des années 2010, sans qu’ils ne correspondent à une réalité juridique. Alors que seulement une personne a vu son OQTF (Obligation de Quitter le Territoire Français) annulée pour cause environnementale, ce n’est pas moins de 25 millions de personnes qui se voient forcées de quitter leurs lieux de vie chaque année sous l’effet du changement climatique. Un phénomène qui pourrait atteindre les 140 millions d’ici 2050 selon la Banque Mondiale.
Réfugiés climatiques ou migrants environnementaux ?
Faut-il parler de réfugiés climatiques ou bien de migrants environnementaux ? Cette question en apparence banalement sémantique cache en réalité de multiples enjeux capitaux. Bien que l’adjectif climatique soit régulièrement utilisé dans la presse ou par des organisations militantes ou non gouvernementales, il est plus pertinent de recourir à l’épithète environnemental, qui englobe bien plus de phénomènes, notamment liés à l’érosion des sols ou aux séismes. L’Organisation Internationale des Migrations utilise d’ailleurs la catégorie de migrants environnementaux, définis comme “les personnes ou groupes de personnes qui, essentiellement pour des raisons liées à un changement environnemental soudain ou progressif influant négativement sur leur vie ou leurs conditions de vie, sont contraintes de quitter leur foyer ou le quittent de leur propre initiative, temporairement ou définitivement, et qui, de ce fait, se déplacent à l’intérieur de leur pays ou en sortent.”
Le choix du substantif migrant/réfugié est encore plus difficile à trancher, et fait encore aujourd’hui l’objet de nombreux débats internationaux. En effet, il est abusif – du point de vue du droit international – de parler de “réfugié”, puisque ce terme fait référence à un statut particulier accordé aux personnes devant quitter son pays du fait de persécutions établies selon la Convention de Genève de 1951. Des avancées sont néanmoins à signaler, quant à la reconnaissance des réfugiés environnementaux, depuis que l’ONU l’a cité dans un rapport de 1985 et jusqu’à la création d’un groupe de travail spécifique sur la question à la suite à l’Accord de Paris. Des avancées non contraignantes qui restent dans le domaine de la soft law, ce qui peut s’expliquer par la frilosité des Etats à accueillir des réfugiés sur leurs territoires.
De plus, le terme migrant est également problématique, puisqu’il sous-entend une certaine liberté des personnes qui auraient fait le choix de quitter leurs lieux de vie. Le terme le plus pertinent serait donc finalement celui de déplacés environnementaux, malheureusement encore très peu utilisé par les organisations internationales.
Enfin, l’entremêlement des causes poussant une personne à se déplacer pose une dernière difficulté. Peut-on réellement dissocier les causes environnementales des causes socio-économiques et même des conflits parfois très prégnants dans les zones à risques ? Des exemples de cette complexité peuvent se trouver en Afrique Subsaharienne, où de nombreuses zones subissent des épisodes de plus en plus réguliers de sécheresse, forçant des agriculteurs à quitter leur lieu de vie et brouillant la frontière entre migration économique et environnementale. Plus encore, ces déplacements de populations peuvent créer des conflits avec d’autres usagers des terres – notamment avec les éleveurs nomades au Nigéria – amplifiés par la formation de milices armées comme Boko Haram.
Bâtir des villes prêtes aux évènement environnementaux
Ces phénomènes touchent certaines régions bien plus que d’autres, notamment l’Asie (de l’Est et du Sud) qui concentre à elle seule 75% des déplacés environnementaux, et dans une moindre mesure l’Amérique avec 12% des déplacés et l’Afrique Subsaharienne avec 8%. Dans toutes ces régions, les déplacements de populations s’effectuent majoritairement vers les grandes villes, notamment côtières, qui sont elles-mêmes particulièrement vulnérables aux inondations, première cause des migrations environnementales. Pour atténuer les effets grandissants de ce phénomène, les villes et les Etats proposent des solutions innovantes, de la relocalisation au développement d’une architecture résiliente.
Source : « Migrations environnementales », Espace mondial l’Atlas, Sciences Po, 2018 [en ligne]
Pour faire face aux problématiques environnementales de sa capitale surpeuplée en proie aux inondations répétées, l’Indonésie a choisi de mettre en place une solution radicale : le déménagement pur et simple de sa capitale vers l’île de Bornéo, à quelque 2 000 kilomètres de Jakarta qui s’est enfoncée de 4 mètres en 30 ans… Une opération très coûteuse estimée à 32 milliards de dollars sur 10 ans, qui consisterait à créer une ville nouvelle pour y accueillir les différentes administrations et institutions publiques du pays. Cette décision intervient quelques années après les inondations catastrophiques de 2007 qui avaient provoqué la mort de 55 personnes et le déplacement de 500 000 autres. La pertinence de cette solution peut cependant poser question, puisque les habitants les plus pauvres de la ville – qui sont les plus affectés par les inondations – n’ont pas les moyens de déménager à 2 000 km.
D’autres pays ont préféré miser sur le développement d’une architecture résiliente pour faire face aux catastrophes et ainsi éviter les déplacements forcés. C’est notamment le cas du Vietnam – également très avancée sur la relocalisation à travers son programme Living with the floods – qui a débloqué des fonds pour la généralisation de maisons anti-inondations. Ce programme a permis d’aider 3 500 personnes en plus de mettre au point douze modèles de maisons adaptées aux différentes régions du pays que ce soit au niveau des catastrophes à éviter ou tout simplement de l’architecture locale. Le Bangladesh s’aventure également dans cette direction à travers la mise en place de bâtiments flottants, d’infrastructures démontables ou encore d’abris anti-cycloniques comprenant écoles et centres de soins.
Une dernière piste, bien moins intuitive, a été mise en avant par l’Organisation Internationale des Migrations dans un long rapport paru en 2017 qui conclut que – contrairement à ce qui est souvent défendu – la migration peut être considérée comme une bonne réponse aux désastres climatiques plutôt que comme un phénomène à éviter. Cette stratégie consiste en la mise en place de système d’alerte précoce (early warning systems), aux niveaux local et national, pour alerter les populations sur des évènements environnementaux afin de préparer des évacuations et des relocalisations des populations en danger. Si les stratégies de résilience sont bien évidemment la solution la plus pérenne et la plus enviable, il s’agit de ne pas diaboliser les migrations et d’implémenter des politiques publiques facilitant les déplacements temporaires ou permanents pour pallier aux situations où des personnes se retrouvent “piégées” dans des territoires dangereux pour leur vie.
Serons-nous tous des réfugiés climatiques ?
D’ici 30 ans, le WWF estime que nous compterons 250 millions de personnes déplacées sous l’effet du changement climatique alors que le GIEC va plus loin en avançant le chiffre de 280 millions. S’il est très complexe d’obtenir une estimation précise, il est clair que les évènements climatiques et météorologiques ne feront qu’augmenter et que nous devons nous préparer à une explosion des migrations environnementales. Mais si le regard est souvent tourné vers l’Asie et l’Afrique subsaharienne, l’hémisphère nord n’est pas en reste et enregistre déjà d’importants mouvements de populations liés au dérèglement climatique. Une situation que l’économiste Jeffrey Sachs résume par une formule choc : « nous sommes tous des réfugiés climatiques« .
L’Europe est également impactée par des phénomènes similaires avec 100 événements climatiques menant à des déplacements en 2019 contre 43 en 2016, et près de 700 000 personnes déplacées au cours de la dernière décennie. Parmi ces centaines de milliers d’européens, principalement issues de Russie et de Bosnie-Herzégovine mais également d’Espagne ou de France, on retrouve majoritairement des personnes pauvres. Celles-ci sont doublement affectées par leur difficulté à construire un nouveau foyer, et qui se tournent donc pour certains vers des terrains peu chers dans des zones vulnérables, perpétuant ainsi le cycle. Le vieux continent est d’autant plus en retard sur le continent africain, qui a déjà mis en place une convention sur la protection et l’assistance aux personnes déplacées internes qui reconnaît le changement climatique comme un phénomène d’origine humaine forçant des populations à se déplacer.
Crédit ©euronews /IMDC
En France, l’évènement climatique le plus marquant de ces dernières années est la tempête Xynthia qui a notamment frappé les côtes vendéennes avec 29 morts dans la seule ville de La-Faute-sur-Mer. Si certains ont préféré se saisir des aides de l’Etat pour déménager loin de la côte, d’autres les ont refusé en faisant valoir leur droit de vivre dans leur ville. Afin de se préparer à de futures tempêtes, il a alors été rendu obligatoire de construire une “pièce de survie” surélevée dans chacune des maisons de la commune, avec une aide de l’Etat à hauteur de 40% des coûts. En Europe comme en Asie ou en Afrique subsaharienne, les mêmes problématiques de déracinement forcées se posent et doivent faire l’objet de véritables politiques pour atténuer l’effet des catastrophes climatiques sur nos villes et pour accompagner les futurs réfugiés climatiques que nous sommes.
Tous ces exemples nous donnent des arguments supplémentaires pour contrer l’imaginaire identitaire d’une future “invasion” de migrants sur l’hémisphère Nord, d’autant plus que la majorité des déplacements forcés dans les pays du Sud se font vers des régions frontalières. Plutôt que d’ériger des murs et de traiter les migrants environnementaux comme un risque, il convient de se rappeler que la migration est un phénomène structurel de nos sociétés et qu’il faut plutôt agir contre le déracinement forcé des populations, en bâtissant des villes résilientes de La Faute-sur-Mer à Hô Chi Minh-Ville. Afin d’accueillir et de protéger les migrants environnementaux, la coopération est plus que jamais à favoriser, que ce soit entre collectivités qui développent partout dans le monde des bonnes pratiques ou entre différents Etats dans une logique de solidarité internationale envers les personnes forcées de se déplacer.