Foire aux Plaisirs de Bordeaux, Foire Saint-Romain à Rouen, Super-Fête Saint-Michel à Toulouse : le mois d’octobre marque le retour des foires et fêtes foraines dans nos villes. À Lyon, la Vogue des Marrons, festivités annuelles qui s’étendent aujourd’hui sur 6 semaines, célèbre son 152e anniversaire. La fête foraine est initialement un espace de rencontres et d’animations en plein centre-ville. Foire-théâtre, music-hall, magie et illusions, spectacles, jeux, elle transforme les centres urbains de manière éphémère, et se veut le reflet des évolutions techniques et sociétales.

Quelle place occupe aujourd’hui la fête foraine dans la ville et en quoi permet-elle de repenser nos centres urbains ? Quelle spécificité conserve-t-elle, à l’ère du divertissement institutionnalisé ?

Une tradition vieille comme nos villes

L’implantation des arts forains en milieu urbain est une tradition qui remonte au Moyen- ge, avec le développement des spectacles de rue par les saltimbanques dans les foires. Le siècle des Lumières y a apporté des spectacles à la limite entre magie et chimie, ainsi que la vulgarisation publique des innovations scientifiques et techniques pour les populations urbaines. Mais c’est au XIXe siècle que la fête foraine devient un véritable fait social, une fête populaire, accessible et destinée à tous.

La fête foraine est à la fois nomade, éphémère et coutumière, associée à certaines périodes de l’année. Animant les centres-villes, elle est un espace d’échanges et de rencontres. Artistes, marchands et bonimenteurs diversifient leurs activités, pour égayer places et carrefours, et drainer le public vers les attractions spectaculaires et l’effervescence de l’événement. Si elle atteint son apogée à la Belle Époque, elle perpétue encore aujourd’hui un mode de divertissement rituel de la vie urbaine. D’ailleurs, en 2017, les arts forains sont même inscrits à l’inventaire du patrimoine culturel immatériel français !


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Véritable expérience sensible, la fête foraine est associée à une esthétique spécifique : couleurs vives, mouvements, manèges bariolés, jeux de lumières. Les stands de confiserie et leur odeur particulière, les bruits des attractions et de la foule, participent à créer un imaginaire extravagant directement associé aux arts forains, que les visiteurs connaissent bien.

Élément central de la culture urbaine des XIXe et XXe siècles, les arts forains témoignent d’un précieux héritage en termes de savoir-faire technique et mécanique, qui se transmet de générations en générations. On peut notamment évoquer le « Carrousel Galopant » de la foire luxembourgeoise de Schueberfouer, en service depuis 1898 et qui a fonctionné à la vapeur jusqu’en 1906. Aujourd’hui, son existence est menacée, car son propriétaire actuel pense à prendre sa retraite. Il a même été question, il y a quelques années, que la Ville rachète le manège ! Plus qu’une tradition, la fête foraine devient une institution. Pourtant, sa popularité et ses usages changent, et son image auprès des riverains aussi.

Quand forains et riverains ne font pas bon ménage

L’essence de la fête foraine, c’est d’associer espace public urbain avec expérience festive, ce qui n’empêche pas de susciter quelques contestations de la part des riverains. Il s’agit tout de même d’une fête bruyante, du fait des attractions et de la foule. Pour ne pas attiser les possibles conflits d’usage, la réglementation est de mise : c’est le cas de la ville de Troyes, qui dès 2012, a mis en place une charte de bon voisinage entre riverains et forains. Malgré cela, la fête foraine participe à repenser les possibilités d’usage d’un lieu, et en modifie les temporalités. À Lyon, l’annuelle Vogue des Marrons déplace pour un temps le célèbre marché quotidien de la Croix-Rousse.

Ces évolutions amènent les pouvoirs publics à repenser les lieux dédiés aux fêtes foraines. Au Mans, par exemple, la mairie a souhaité cette année déplacer la fête foraine de la place des Quinconces au site du Panorama, légèrement excentré par rapport à l’emplacement annuel. Alors que la fête de printemps a été annulée, celle de la Toussaint est à nouveau compromise. L’ouverture était prévue pour le 15 octobre, mais des négociations sont en cours entre les pouvoirs publics et les forains, qui refusent de s’installer en périphérie. Traditionnellement, la centralité constitue l’essence de la fête foraine, et permet d’assurer plus de public. Elle est destinée aux populations urbaines, aux passants, à tous ceux qui peuvent se laisser tenter par un bout de fête en pleine ville.

De manière générale, les forains déplorent aujourd’hui la précarisation de l’emploi et la marginalisation progressive des arts forains. C’est notamment ce que revendique l’association Le Monde Festif, destinée à fédérer et défendre les artisans forains, et créée en 2001 autour d’une vision : « si les fêtes foraines venaient à disparaître, nous perdrions une part de rêve et de magie, accessible à l’ensemble de notre société». Comment préserver aujourd’hui les arts forains face à la concurrence du divertissement ? Comment éviter qu’ils deviennent excessivement commerciaux ?

Fête foraine, festival ou parc d’attraction ?

Aujourd’hui, les fêtes foraines n’attirent plus le même public : de la grande roue aux manèges, du tir à la carabine en passant par la pêche à la ligne, l’évolution des attractions rassemble aujourd’hui en grande partie les familles et les enfants. Le développement d’autres types de divertissements, accessibles et gratuits depuis chez soi sur internet, amenuise l’intérêt des démonstrations scientifiques et techniques des XVIIIe et XIXe siècles. L’institutionnalisation du théâtre et du cinéma, ainsi que la multiplication de festivals spécialisés sur ces thématiques, modifient les formes du spectacle de rue. De plus en plus, les fêtes foraines s’orientent vers des attractions à ‘sensations fortes’, qui prennent de la hauteur et de la vitesse, développant le sensationnel et le spectaculaire pour conserver leur attractivité.


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En effet, l’apparition du festival au XXe siècle, sa prolifération géographique, reprend la forme de la fête foraine, mais se spécialise : gastronomie, musique, arts visuels, les thématiques sont nombreuses, et attirent un public d’experts ou d’intéressés, tout en gardant le charme de l’événement à la fois éphémère et régulier. À l’inverse, les parcs d’attractions reprennent l’esprit d’animation, les activités actuelles de la fête foraine, dans une forme de divertissement institutionnalisé et permanent. Nécessitant certaines infrastructures conséquentes, ces derniers se trouvent généralement en périphérie.

Associée au centre-ville, à l’espace public, la fête foraine se distingue encore des parcs d’attractions privés et périphériques, dans lesquelles on paie un ticket d’entrée pour y passer la journée. La fête en elle-même est gratuite, ce sont les attractions qui sont payantes, souvent ouvertes jusque dans la soirée, ce qui lui permet de garder son aspect spontané et public. En occupant ainsi les places, les rues, les carrefours, cette festivité pluri-centenaire vient apporter de l’enchantement en centre-ville en y rappelant le goût de la fête et de l’amusement.


Fête foraine à Moscou @nikolayv via unsplash

De plus en plus, elle présente aussi des spectacles de lumières, de sons, grâce au développement des outils numériques : la fête foraine se réinvente. À Nantes, l’installation des « Machines de Nantes » remet au goût du jour les prouesses mécaniques et techniques, montrées au public, et permet de faire le lien avec le passé industriel de la ville. L’interaction avec les machinistes, la construction de nouveaux éléments par l’atelier, en font un spectacle vivant, héritier des démonstrations technologiques qui ont alimenté les foires des siècles passés.

Entre tradition culturelle et évolutions sociétales, les arts forains se développent avec l’utilisation de nouveaux outils, de nouvelles formes, mais gardent un point commun au fil des années : leur place demeure en centre-ville. Ils s’insèrent dans le temps et l’espace du quotidien, tout en y apportant un esprit de célébration et de partage. Ne sont-ils pas, aujourd’hui plus qu’hier, des éléments clés pour un retour de l’émerveillement en milieu urbain ?

Photo de couverture : @gwellsizraw via unsplash