Le fait est que nos villes sont nées du commerce alimentaire, c’est du moins ce qu’affirment les physiocrates au XVIII siècle. C’est en effet l’existence d’un surplus agricole qui ont permis la naissance de nos territoires urbains, puisque nos villes avaient comme fonction commerciale de les écouler. D’ailleurs, aujourd’hui encore, le commerce alimentaire a un rôle structurant dans nos villes. Il mobilise en effet de nombreuses thématiques telles que la mobilité, la santé, ou encore l’écologie, qui représentent de vraies problématiques d’aménagement du territoire.
La mobilité par exemple dessine autant nos villes qu’elle articule le commerce alimentaire. Qu’il s’agisse des déplacements que nous effectuons à pied pour nous rendre au commerce de proximité le plus proche, ou bien de l’ensemble des exportations de produits étrangers qui traversent des milliers de kilomètres pour rejoindre nos territoires, les stratégies d’aménagement sont effectivement reliées à la gastronomie et aux dynamiques urbaines qu’elle entraîne.
La gastronomie : marqueur d’identité urbaine
Qu’elle soit la spécialité d’un territoire, ou bien une tradition, ou encore une institution, la gastronomie peut en effet représenter un réel marqueur d’identité urbaine. À quoi pensez-vous quand on vous évoque les villes de Dijon, Bordeaux ou Agen ? À leurs architectures ou atmosphères si vous les avez déjà visitées, mais aussi certainement à la moutarde, aux canelés et pruneaux ! Une spécialité culinaire ou un produit phare peut incarner une ville, sa popularité et son attractivité.
La gastronomie peut également assurer un rôle historique dans nos villes, représenter une époque et symboliser ainsi l’évolution d’un territoire au fil du temps. Cela peut être la représentation d’un mode de vie à une période précise ou d’une certaine population, ce qui permet de garder une trace historique du passé et de l’évolution des territoires urbains.
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Le Bouillon Chartier par exemple est une véritable représentation historique, sociale et architecturale de Paris. Classé monument historique, il illustre la mémoire de la Belle Epoque et de l’Art Nouveau, et symbolise depuis 1896 la cuisine à la française à un prix défiant toute concurrence. Aujourd’hui fréquenté autant par les parisiens que par les visiteurs, il affirme dans sa communication “il n’y qu’un seul Paris, qu’un seul 9ème arrondissement, qu’un seul Chartier”, il est profondément ancré dans la ville et sa dynamique.
Incarné par un restaurant, un nom ou une maison, l’art culinaire participe donc à la construction et l’animation des villes et de leurs habitants. Lyon, l’un des territoires les plus réputés à ce sujet, personnifie la gastronomie de diverses manières. Elle porte de grands noms de la cuisine française tels que Paul Bocuse, et cette identité s’est également dessinée à partir des traditions tels que les bouchons lyonnais. En effet, la rue Mercière, ainsi que la rue des Marronniers, sont entièrement aménagées de restaurants. D’ailleurs, pour une partie, il s’agit d’anciennes familles lyonnaises. Ce sont des rues incontournables de la ville de Lyon, qui rayonnent jusqu’à l’international pour ses cervelles de canuts, tripes et andouillettes !
Célébrons la nourriture !
Et pour célébrer la gastronomie locale ou faire découvrir les arts culinaires étrangers, des événements ponctuels se multiplient ces dernières années en France. Qu’ils soient centrés sur la cuisine française, étrangère, sur un concept particulier, ou même sur un aliment, ces moments forts et rassembleurs sont divers et variés.
Cette année la 4ème édition du Lyon Street Food Festival a proposé aux gourmands et curieux visiteurs de faire un tour du monde de la street food. Découvertes culinaires, immersion dans une nouvelle culture, ambiance festive et conviviale ont ainsi permis de réunir toutes les générations autour d’un lieu éphémère et partagé.
Aussi gourmand, Naples célèbre chaque année la spécialité italienne incontournable : la pizza. Pendant plus d’une semaine, la ville se métamorphose pendant la nuit pour devenir une pizzeria géante. L’occasion de réunir l’ensemble des napolitains et curieux de tous les horizons. Avec plus d’un million de visiteurs et près de 120 000 pizzas dévorées au bord de la mer, la dolce vita est bien au rendez-vous.
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L’innovation jusque dans l’assiette
Comme dans tous les autres domaines, la restauration elle aussi se modernise et devient de plus en plus une source d’innovations. Elle crée du lien social lors de repas partagés, développe l’économie et l’attractivité d’un territoire, et expérimente aujourd’hui des nouveautés pour répondre à l’émergence de différents besoins et attentes des consommateurs. L’innovation se retrouve autant dans l’aménagement de nouveaux lieux, que de nouveaux concepts ou associations d’aliments inattendues. De ce fait, nous pouvons actuellement se restaurer dans le noir le plus complet dans l’insolite La Table en Braille à Lyon, ou déguster les gourmandises trompe l’oeil du pâtissier Cédric Grolet à Paris. La ville offre alors des expériences culinaires inédites.
Il est d’ailleurs intéressant d’analyser la manière dont nos modes de vie urbains ont modifié notre rapport à la nourriture, et ont permis l’émergence de nouveaux modèles de restaurations. Nous voulons manger rapidement pendant notre pause-déjeuner pour ne pas perdre de temps sur le dernier “dossier en cours”, ou bien dîner dans un lieu qui rassemble au même endroit deux propositions opposées, comme de la cuisine libanaise et italienne, lorsqu’on n’arrive pas à tous se mettre d’accord. Les besoins et les modèles évoluent. Le fast-food, le food truck ambulant, ou même le restaurant péniche sont autant de déclinaisons de lieux de restauration qui confirment ce changement.
Et dans une société où les nouvelles technologies et le numérique se démocratisent, la restauration aussi suit cette dynamique. La tendance “Startup Nation” s’est en effet étendue à la gastronomie pour créer la “FoodTech”. L’idée est de réunir un écosystème d’entrepreneurs, experts, producteurs et investisseurs pour stimuler les innovations sur les habitudes de consommation et notamment répondre au défi environnemental et mondial qu’est le suivant : comment allons nous nourrir toute la planète dans les décennies à venir ?
Aujourd’hui près de 500 startups se sont mobilisées en France dans cette mouvance FoodTech, et cela de différentes manières, ce qui contribue à l’attractivité de certains territoires. Dijon a d’ailleurs accueilli récemment le Food Use Tech, appuyant d’autant plus son positionnement dans le domaine de la gastronomie, alors même que la ville ouvrira bientôt la Cité Internationale de la Gastronomie et du Vin. Un écosystème d’acteurs qui s’implique dans le dynamisme des villes et viennent impulser de nouvelles dynamiques dans nos villes, comme par exemple des innovations en termes d’agriculture urbaine, de logistique du dernier kilomètre alimentaire ou de proposition de restauration.
Finalement, va-t-on encore au restaurant que pour manger … ?
L’évolution de nos modes de vie et habitudes de consommation modifient les lieux liés à la restauration. Notamment par la création de lieux hybrides, alternatifs, qui transforment nos villes et renouvellent l’art culinaire. Ces lieux ne nous proposent non plus seulement un repas, mais une véritable expérience gustative et sociale. Ce sont généralement des espaces partagés, dans lesquels les traditions culinaires, les concepts, et les innovations s’entremêlent.
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Dans cette démarche, la récente ouverture de La Commune dans le quartier de Gerland à Lyon ne définit l’espace non pas comme des restaurants mutualisés à un même endroit, mais bien un lieu d’échanges et de rencontre. Les visiteurs se rendent, peut être pour certains, à La Commune pour expérimenter les hamburgers aux insectes, mais pour la majorité c’est tout simplement un lieu de vie convivial, moderne et original. Il permet de réinvestir le site d’une ancienne menuiserie, tout en proposant un espace fédérateur et une nouvelle dynamique au cœur du 7ème arrondissement.
Source de dynamisme économique et culturel, mais aussi vectrice d’interactions et de liens sociaux, la gastronomie aujourd’hui ne devient-elle pas source illimitée d’innovations et d’expérimentations urbaines ?
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