En tant qu’acteur de la fabrique urbaine, pensez-vous que de grands changements urbains sont à venir en fonction du résultat de l’élection ? Quel danger constitue l’extrême droite pour nos villes ?
Il y a quelques mois j’ai pu travailler en profondeur sur la notion de logement, et notamment sur la question de comment habiter les villes de demain. Cette réflexion était menée à l’occasion de l’élaboration du rapport commandé par Emmanuelle Wargon, l’actuelle ministre du Logement, dans le cadre de la démarche « Habiter la France de demain ». J’ai pu observer les multiples initiatives et implications du gouvernement sur ces questions, qui concernent autant le climat, la transition écologique, que la concurrence territoriale, le devenir des villes moyennes, ou l’aménagement des métropoles. Ce qui a été initié est plutôt bien engagé mais, sans doute à cause du contexte actuel, notamment de l’urgence de certains enjeux internationaux comme la situation en Ukraine, ces sujets ont pu être relégués au second plan pendant cette campagne. Tout le travail mené par le gouvernement n’a pas été mis à contribution dans les thèmes du programme d’Emmanuel Macron. J’ai cependant pu observer, à travers mon implication personnelle avec le gouvernement, qu’il y a de l’imagination, la volonté d’agir et la possibilité de le traduire dans les faits.
Quant au danger que représente l’extrême droite sur ces questions, il est difficile de développer un avis argumenté puisque rien n’a vraiment été évoqué. On se base principalement sur des ouï-dires et des présupposés. Plus subjectivement, Marine Le Pen ne semble pas vouloir promouvoir une ville cosmopolite, inclusive et diversifiée. Dans l’éventualité de son élection, j’imagine qu’une ambiance particulière risquerait de s’installer. Dans certains quartiers, on assisterait probablement à l’émergence de tensions suite à la remise en cause annoncée des politiques sociales actuelles, avec notamment une problématique liée aux modifications des critères d’attribution des logements sociaux et des aides personnelles au logement ce qui risque de bouleverser des équilibres précaires. J’ai également l’impression qu’encourager la France des propriétaires et une politique pro-automobile n’est pas nécessairement le meilleur moyen de contenir l’étalement urbain.
Mais de manière générale, lorsque l’on parle de la fabrique urbaine et de l’extrême droite, on ne peut que supposer et présumer. Je n’ai trouvé que très peu d’informations sur le sujet.
Vous venez de nous évoquer votre travail sur le logement. Publié il y a quelques mois, le rapport Girometti-Leclercq pose les bases d’un futur référentiel de la qualité du logement, trouvez-vous que les programmes des candidats étaient à la hauteur ?
Honnêtement je n’ai pas beaucoup entendu parler de logement dans cette campagne. Par ailleurs, c’est très ambigu parce que le rapport aborde des sujets et des thématiques très spécifiques et précis sur la qualité des logements. Globalement, dans ce rapport on énonce le fait que les villes doivent devenir plus attrayantes pour accroître le désir d’y habiter. Pour y parvenir, il faut notamment agir sur la qualité d’usage et le confort des logements, ce qui passe par leur dimension, leur orientation, leur confort d’été et la qualité de leur air intérieur, leur accès à un espace extérieur, leur capacité de rangement, etc. Tout cela n’a effectivement pas vraiment été un sujet principal de la campagne électorale. Souvent, le logement est évoqué au travers des questions de production et de coûts. Ce sont bien évidemment des sujets qui nous intéressent et sur lesquels nous nous sommes penchés mais qui ne sont abordés que de manière incidente dans le rapport.
Les dix pistes du gouvernement pour #HabiterLaFranceDeDemain
— Leclercq Associés (@Leclercqarchi) October 14, 2021
« Apartir de 2023, les logements Pinel+ devraient respecter des surfaces minimales. Ces mesures s’inspirent du rapport remis par F. Leclercq et Laurent Girometti » @lemondefr #teamarchi https://t.co/ODmXQkqYhD
Il n’est pas possible de tout aborder et mélanger dans une campagne présidentielle. Le moment le plus approprié pour ces questions doit être celui des campagnes municipales. À l’échelle nationale, on peut parler du coût mais à l’échelle plus locale on s’intéresse réellement aux sujets spécifiques de l’aménagement du territoire et de la fabrique de la ville, avec par exemple la question des emplacements à construire pour accroître l’offre, etc. En fonction de l’échelle, les sujets ne sont pas les mêmes, l’essentiel est de cibler le niveau d’action le plus pertinent en fonction des problématiques abordées.
Cependant, la question de la rénovation des logements, qui a été abordée durant cette campagne, est absolument essentielle et nécessaire vis-à-vis de l’urgence climatique. C’est un domaine large avec plusieurs volets, les passoires thermiques sont notamment un axe d’action important et urgent. Selon moi, favoriser la rénovation plutôt que la destruction et la construction est un bon angle d’attaque. Casser et reconstruire systématiquement engendre des coûts non seulement économiques mais également sociaux et surtout écologiques beaucoup trop importants. Il faut donc encourager les rénovations et poursuivre dans cette voie mais il ne faut néanmoins pas oublier de le faire en fonction de la spécificité de chaque bâtiment. Il s’agit d’analyser pour chaque bâtiment, au cas par cas, les possibilités d’améliorations, de mise en place de nouveaux services et d’autres propositions innovantes. De nombreux bâtiments existants proposent des logements qui ne sont pas très généreux, on peut se saisir de cette opportunité pour réfléchir à la manière de les agrandir, de les redistribuer ou de proposer des prolongations extérieures par exemple.
Il me semble nécessaire de poursuivre dans cette direction, d’autant plus si l’on approfondit la réflexion en cours sur les possibilités de changer l’affectation et l’usage des bâtiments. C’est notamment le cas de certains immeubles de bureaux qui ne sont plus assez efficaces dans cette fonction et qui deviennent des logements. La facilitation de la transition de fonction et d’affectation est justement à l’œuvre actuellement. Cela encourage l’idée de la rénovation, de la réhabilitation et de la restructuration quel que soit le bâtiment.
Emmanuelle Wargon a critiqué, il y a quelques mois, le modèle pavillonnaire jugé comme un “non-sens écologique, économique et social”. Marine Le Pen n’est pas de cet avis et veut lutter contre “la concentration infernale” des villes. Que pensez-vous du modèle pavillonnaire et de l’étalement urbain ?
Je pense qu’il y a un gros travail à faire sur le pavillonnaire existant. Il y a l’enjeu de savoir comment l’agrandir, le modifier, le transformer, pour offrir une densité acceptable voire désirable. Nous avions travaillé et étudié ce sujet, sur comment un pavillon avec un étage de plus peut offrir un appartement supplémentaire, par exemple. Il y a beaucoup de choses à faire sur le pavillonnaire mais je pense que les zones de flou que nous observons aujourd’hui, sont les conséquences des nouveaux modes de travail sur ces logements. Si l’éloignement momentané pour une semaine est une possibilité de vie pour certaines professions, c’est une manière de revitaliser les villes moyennes. Aujourd’hui, combien de personnes ont quitté Paris pour s’installer dans un cadre de vie “plus agréable” ?
Évidemment c’est un phénomène limité puisque toutes les professions ne le permettent pas, et puis on a du mal à obtenir des chiffres et des statistiques très fiables à ce sujet,, mais nous savons que cela se fait. Ce mouvement ne crée pas forcément de nouveaux pavillons, au contraire, il permet même de s’installer dans des logements vacants. C’est une forme de revitalisation qui peut se faire uniquement par l’emploi et le bassin d’emploi. D’ailleurs, la notion de bassin d’emploi est amenée à très fortement évoluer. Autrefois, il s’agissait de la proximité avec notre lieu de travail, mais actuellement c’est beaucoup plus éclaté et large, et ça devient presque intéressant de se dire que, grâce à ça, on réinvestit cette France un peu “oubliée”. Il faut toutefois que des politiques encadrent ces mutations, que ce soit d’un point de vue commercial, de mobilité ou autres. On donne beaucoup d’importance à la présidentielle sur ces sujets, mais c’est surtout du ressort des municipalités et des intercommunalités.
Mis à part ça, il y a quand même beaucoup de tentation. Nous avons de magnifiques paysages en France, alors y avoir une maison confortable est très tentant, c’est une réalité. Mais de ce fait, il y a une concurrence très forte qui s’est installée entre les zones rurales / périurbaines et les villes. La qualité de vie plus agréable hors des villes, mais tout de même contrainte par plusieurs facteurs comme la mobilité par exemple, oblige les villes à offrir beaucoup plus. Cette concurrence des territoires, qui s’est donc créée par le déplacement du bassin d’emploi originel, force les villes à réhausser leur offre et à augmenter leur niveau de jeu. Pour rivaliser, il faut jouer sur le confort des logements, sur les espaces verts, les îlots de fraîcheur, le prix, les services… Finalement, les nouveaux modes de travail, même s’ils sont marginaux, ont incité les villes à se réinventer et proposer un meilleur cadre de vie.
Que pensez-vous des mesures concernant la décentralisation ? Emmanuel Macron souhaite poursuivre l’acte III en supprimant les départements dans les zones métropolitaines. Tandis que Marine Le Pen s’interroge sur la pertinence du cadre départemental. Serait-il amené à disparaître ? Les intercommunalités sont-elles un échelon pertinent et efficace ?
Je suis très favorable à l’intercommunalité puisque c’est la bonne échelle pour parler de la plupart des sujets, comme le transport par exemple. Mais en même temps, son échelle est aussi son “problème” dans le sens où, trop grande, elle peut nuire à sa représentation. Par exemple, le maire est toujours connu dans son village ou sa ville, mais peut-on en dire autant de la direction des intercommunalités ? C’est donc là sa limite, mais c’est une échelle entièrement légitime.
Concernant les départements, je pense qu’ils servent surtout d’attachement. C’est une échelle qui fait le lien entre les intercommunalités et les régions qui sont aujourd’hui immensément grandes. Les départements, c’est un attachement très fort, presque sentimental, et historique parce que c’est une proximité immédiate qui se pratique en permanence et quotidiennement. Depuis plus d’une décennie, leurs compétences et leur champ d’action ont été progressivement réduits, leur disparition programmée, mais ils sont toujours là. Personnellement je les ai toujours appréciés, leur échelle est intéressante, ça correspond finalement à une grosse ville et tout ce qui se passe autour.
La place de la voiture ne semble pas être remise en question dans les programmes des deux candidats du second tour, cela vous semble-t-il adapté aux enjeux contemporains de nos villes ? Pensez-vous qu’il suffit “seulement” de rendre les véhicules plus verts ou réduire leur utilisation est nécessaire ?
Je pense qu’il faut réduire très fortement la place de la voiture dans les centre-villes. Mais pour ce faire, il faut bien sûr lourdement investir dans les transports en commun. L’un ne va pas sans l’autre. Aujourd’hui, on a beaucoup de mal à franchir le pas et à étoffer l’offre de transports publics, ce qui complique la diminution de la place de la voiture. C’est un investissement très lourd que d’avoir plus de bus, de tramways, de métros, etc, à des fréquences plus rapides et plus larges. Je pense que c’est tout de même un réel enjeu : au-delà de la saturation écologique ou environnementale liée au niveau de pollution atmosphérique, il y a aussi la saturation physique. Il faut libérer les villes des voitures qui prennent trop de volume et d’emprise. À Marseille par exemple, il y a un manque de place de stationnement et les voitures saturent l’espace public, empiétant fréquemment sur les trottoirs, ce qui laisse très peu de place aux piétons.
Cependant, pour rester en adéquation avec ce que je disais tout à l’heure sur le réinvestissement des villes moyennes, je pense que dans certaines situations, sur certains territoires la voiture est indispensable. Si l’on contraint trop ces zones au sujet de la voiture, les réinvestir sera difficile. Évidemment il y a des solutions intermodales, mais il faut qu’elles soient permanentes et surtout il faut être très inventif pour permettre leur réelle efficacité. De façon générale, on ne peut supprimer la voiture seulement s’il y a une offre de substitution très agréable. On ne peut pas obliger les gens et n’être que coercitif. Mais là encore, on donne trop d’importance à l’élection présidentielle sur ces engagements. Les petites lignes ferroviaires par exemple, qui ont été fermées alors qu’elles pourraient permettre la substitution de la voiture, sont une affaire d’échelle régionale plutôt que nationale.