Concrètement, quel rôle jouez-vous au sein des rouages de la fabrique urbaine ?

En tant qu’agence de paysage et d’environnement, chez Phytolab nous sommes beaucoup amenés à travailler sur les îlots de fraîcheur, je dirais même que c’est la dynamique qui guide l’ensemble de nos projets. Depuis des années, l’urbanisation a entraîné l’artificialisation de nos terres et de nos villes, ce qui a eu pour conséquence la création d’îlots de chaleur par l’imperméabilisation de nos sols. Aujourd’hui, il y a cette volonté de rendre plus poreux et perméables ces sols pour lutter contre les effets néfastes qu’a engendré l’asphaltisation systématique de la terre. La reconquête du végétal s’est donc largement imposée et fait front à la minéralisation de nos villes. 

La lecture du territoire nous oblige aussi à dézoomer notre vision pour pouvoir cibler et étudier les corridors et les trames écologiques, afin de les accentuer ou de les reconstituer. Notre expertise pluridisciplinaire, qui touche au volet de l’urbanisme, de la botanique, de l’architecture, du paysage et de l’écologie, nous permet de répondre à la fois aux enjeux écologiques et aux besoins des villes. En plus des attentes environnementales, nous faisons toujours attention, en ville, à intégrer de l’urbanité dans nos projets. Nous travaillons donc dans une démarche participative en lien direct avec les citadins pour que ceux-ci fassent partie prenante du projet et en deviennent acteurs. Cela permet notamment de réfléchir aux futurs usages des lieux tout en facilitant leur appropriation par les habitants.

Aujourd’hui les nouvelles pratiques transforment sans cesse le paysage urbain, l’augmentation de l’usage du vélo par exemple a permis de diminuer la place de la voiture dans certains secteurs, libérant ainsi de nouveaux espaces à (re)végétaliser. Dans ce cas, la réflexion s’engage aussi auprès des collectivités pour penser à une échelle plus macro. Nous sommes donc aussi amenés à travailler à une échelle plus globale afin de confectionner des outils, comme des plans-guide par exemple, pour aider la nature à reprendre ses droits.

Quel projet emblématique illustre votre démarche ?

Nous travaillons actuellement sur le secteur du bas Chantenay à Nantes sur une réflexion autour de la place des végétaux dans cet espace industriel et artificiel qui forme un îlot de chaleur conséquent. La démarche est engagée depuis déjà plus d’une dizaine d’années avec pour objectifs de redynamiser et revégétaliser le quartier dans une logique de renaturation de la plaine. Par un travail du végétal, nous allons désimperméabiliser et rafraîchir les lieux tout en y apportant de nouveaux usages, pour qu’ils puissent devenir attractifs. Il est important, dans ce cas, de travailler avec l’existant en suivant une logique de résilience. En ce sens, nous préconisons par exemple de planter des arbres jeunes pour qu’ils puissent s’acclimater et grandir naturellement dans cet environnement.

©Phytolab

Dans ce grand projet de requalification de quartier, s’intègre l’une de nos dernières réalisations : le jardin extraordinaire. Ouvert depuis septembre 2019, le jardin propose un cadre unique et singulier puisqu’il est situé dans l’ancienne carrière Miséry, fermée depuis les années 1980. Aujourd’hui, il est une vraie curiosité qui attire beaucoup de monde pour sa végétation luxuriante. Le projet était de se détacher du dessin classique à la française et de l’environnement indigène de la Loire pour créer un jardin merveilleux dans un univers onirique qui fait notamment référence aux œuvres de l’écrivain Jules Verne, ancien habitant du quartier. Nous avons donc travaillé avec une palette végétale plutôt exotique qui se compose de végétaux provenant du monde entier. Après avoir réalisé au préalable des études sur le climat et la température, nous nous sommes aperçus que le secteur dispose d’un micro-climat avec des températures plus hautes de trois à quatre degrés par rapport au reste de la ville. C’est notamment cette caractéristique du lieu qui nous a permis de travailler avec une gamme végétale non endémique. Même si nous travaillons toujours dans une logique paysagère qui se base sur le milieu naturel du site, nous essayons également d’expérimenter. Ici, le projet permet, d’une certaine manière, d’appréhender et d’anticiper le réchauffement climatique en expérimentant les lieux par l’introduction d’espèces végétales favorables à un climat plus chaud. 

Comment les parcs et jardins font-ils face au changement climatique ?

Évidemment, comme je l’ai dit précédemment avec les îlots de fraîcheur, le réchauffement climatique est la grande problématique qui guide aujourd’hui la conception des parcs et jardins en ville. Cependant, beaucoup de couches thématiques s’ajoutent à cet enjeu : il faut réfléchir à comment développer et accueillir un maximum de biodiversité, comment traiter les différentes trames (bleue pour l’eau, verte pour la végétation, noire pour la pollution lumineuse, brune pour les sols), comment entretenir ces espaces… Autant de volets qui vont globalement contribuer à lutter contre les changements climatiques. 

Chez Phytolab, nous avons la volonté de travailler avec le milieu naturel local en s’intéressant à toutes ses caractéristiques : humidité, sécheresse, ombre, ensoleillement… Nous nous appuyons donc sur les dynamiques végétales du territoire pour favoriser la biodiversité. En ce sens, il est important d’utiliser un mode de gestion extensive pour laisser l’écosystème se réguler et permettre à la biodiversité de se développer. Par exemple, planter des arbres de manière regroupée et non pas isolée, va leur permettre d’être plus forts contre les maladies grâce à la dynamique racinaire.

Au-delà des parcs et jardins, de nouvelles formes de nature en ville se sont développées et contribuent, elles aussi, à faire face aux changements climatiques. L’aspect horticole et bien entretenu de la végétation disparaît petit à petit pour laisser place à un modèle d’aménagement plus naturel et “sauvage” qui amène plus de saisonnalité. On investit par exemple les parterres du bas de son immeuble pour y planter des graines de fleurs, ou bien on laisse les petites mauvaises herbes se frayer un chemin dans les petites interstices goudronnées du trottoir. Les citadins commencent de plus en plus à accepter et à considérer ces petits espaces de “friches végétales” comme des espaces verts en tant que tels, qui contribuent, à leur échelle, à végétaliser nos villes.

©Phytolab

La végétalisation des bâtiments et des toitures sont aussi d’autres manières de renaturer les espaces minéralisés. Les murs végétaux sont cependant très gourmands en eau et ne peuvent accueillir qu’une palette végétale plutôt réduite. Il est tout de même possible, en collaboration avec les architectes, de travailler sur la porosité des murs pour les rendre plus perméables et accessibles aux petites pousses de plantes, comme les mousses. Les toitures végétales, quant à elles, sont assez efficaces. Pour l’illustrer, nous avons réalisé il y a une dizaine d’années un projet expérimental sur le toit de l’école Aimé Césaire à Nantes. Nous avions en amont confectionné un prototype du projet pour l’étudier durant une année, et aujourd’hui, d’après différents relevés, elle est l’une des toitures les plus riches en biodiversité de France. Aucune terre n’a été apportée, seulement du sable et de l’aggrave (empierrement) pour reconstituer un climat dunaire typique du littoral des Landes. Finalement, avec un substrat très pauvre mais épais et une palette végétale adaptée, on limite l’entretien et on favorise largement la biodiversité puisque même la faune s’y installe (oiseaux, insectes…). 

La dynamique qui est actuellement lancée pour retrouver des espaces verts plus naturels et adaptés dans nos villes témoigne d’une prise de conscience des citadins et des collectivités de la nécessité de renaturer et désimperméabiliser nos milieux urbains pour répondre aux enjeux écologiques actuels.

Photo de couverture : ©Phytolab