Depuis quelques années, les enfants regagnent un intérêt croissant des acteurs de la ville ! De nombreuses études urbaines sur la présence, l’expérience et la place des enfants en milieu urbain ont progressivement fait leur apparition sur des thématiques diverses comme les inégalités entre enfants et territoires, l’apprentissage sexué des pratiques territoriales ou encore l’apprentissage de la vie sociale urbaine en général.
Pourtant, l’enfant a souvent été un citadin négligé alors que la majorité d’entres-eux vivent désormais en ville. En Europe, ce sont 70 à 80% des enfants qui vivent en milieu urbain. Si leur place a été cantonnée à des territoires d’études limités comme l’école, la cours de récréation, la chambre ou le domicile, les études reprennent désormais l’espace urbain dans sa globalité pour mieux comprendre le processus de socialisation des enfants qui se fait aussi par la ville. Alors que l’enfant est un citoyen comme les autres qui pratiquent la ville au quotidien, comment se fait-il que sa présence dans l’espace public soit encore si limitée ? Quelles sont les marges de manoeuvre pour permettre aux enfants de reconquérir les rues ? En quoi sont-ils des acteurs urbains en devenir qui peuvent aussi contribuer à faire la ville ?
Les enfants, un citoyen urbain en voie de disparition…
L’espace public n’est pas toujours perçu par les adultes comme un espace accueillant. Entre le bruit des voitures, la circulation dense, le peu d’espaces pour les piétons et les informations qui fusent en tous sens, la ville est souvent déjà représentée comme un lieu hostile pour ceux qui la pratiquent quotidiennement. Mais alors qu’en est-il des enfants ?
Si les enfants ont l’habitude de se retrouver essentiellement dans des espaces circonscrits de la ville comme les parcs ou les squares, sous la surveillance de leurs parents, peu d’entre eux se déplacent dans la ville par leur propre moyen. Le plus souvent accompagnés par un adulte, les enfants n’ont pas le loisir de pratiquer la ville comme ils le souhaitent et cet obstacle constitue un frein à leur créativité mais aussi à la découverte du monde.
En se positionnant à la hauteur du regard des enfants, l’échelle de la ville apparaît comme disproportionnée. Trop grande, elle peut être oppressante par les flux, les bruits ou la hauteur des bâtiments. Peu de place est accordée au piéton qui rencontre de nombreux obstacles sur son parcours ; trottoirs étroits, barrières, plots, zones de travaux, encombrants, foule…
Les infrastructures urbaines conçues sont souvent agressives, voire dangereuses pour les enfants. En position de vulnérabilité face aux flux plus ou moins rapides qui surgissent de part et d’autre de l’espace public, les enfants doivent appréhender voitures, deux roues, transports en commun mais aussi vélo ou trottinette électrique… Ces obstacles sont d’autant plus importants pour les enfants qui, selon l’âge, ne conçoivent pas forcément l’espace comme un simple lieu de passage mais plutôt comme un terrain de jeu.
Ayant besoin de stimuler leurs cinq sens, les enfants peuvent aussi être confrontés au manque d’hygiène de la rue les empêchant de jouer comme ils l’entendent ; de se rouler par terre, de porter leurs mains à la bouche, de sauter dans une flaque d’eau. Si l’espace urbain n’est pas accueillant, c’est qu’il manque aussi de couleurs, de poésie ou de lieux dédiés aux jeux pour s’exprimer, apprendre, expérimenter.
Même lorsqu’ils sont accompagnés, peu de places sont dédiés aux enfants et aux familles, hormis les quelques parcs et squares. Il faut même parfois se battre pour avoir des équipements sportifs et culturels ou autres activités pour les enfants…
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Si la rue peut être un environnement hostile dans certains espaces urbains, elle peut aussi être particulièrement dangereuse selon le territoire ou le quartier où elle se trouve. Certains espaces urbains sont si hostiles que des solutions ont dû être mises en place pour empêcher les enfants de sortir dans la rue. Une atmosphère qui les contraint dès le plus jeune âge. Le Tarlabasi Community Center a été ainsi créé à Istanbul, dans le quartier de Tarlabasi, marqué par la précarité et la délinquance depuis la restructuration du centre-ville entamée par la ville. L’ambition du projet est d’offrir un espace sécurisé aux enfants pour leurs devoirs et leurs loisirs mais aussi un lieu d’accueil pour leur famille afin de renforcer le lien social et pédagogique.
Une solution qui exclut intégralement l’enfant de l’espace public et le prive d’une partie de sa construction sociale, révélant l’importance de l’aménagement et du contrôle de ces espaces pour les rendre plus accueillants pour les enfants et rassurants pour les parents.
Transformer l’espace public pour remettre l’enfant au coeur de la construction de la ville
La présence de l’enfant dans l’espace public peut ainsi devenir un indicateur du bien-être que peut dégager un espace urbain. Un constat qui milite en faveur du retour des enfants dans l’espace public. Une utopie qui émerge déjà dans quelques poches urbaines préservées.
Imaginez des enfants qui font du vélo librement dans les rues des quartiers de condominiums. De rares voitures, mais des voisins assis devant le pallier de leur maison guettent et surveillent implicitement le jeu des enfants. En Amérique latine, la rue a souvent été l’extension de la maison et le terrain de jeu des enfants dans une ambiance sécurisée relative. Une tendance qui est rendue de plus en plus difficile alors que les villes se font de plus en plus denses.
De nombreuses initiatives à l’attention des enfants émergent notamment à São Paulo. Les citoyens se substituent parfois aux acteurs publics pour créer des espaces publics ludiques pour les enfants et les familles, surtout quand les espaces viennent à manquer dans une ville très minéralisée et dense. Partant de ce constat, les habitants se réapproprient parfois l’espace public en incorporant des balançoires dans un espace inutilisé sous un pont, par exemple, réanimant par la même occasion un espace public.
Mais que faire quand la circulation automobile entrave la sécurité des enfants ? Des parents rendent temporairement la rue aux enfants avec l’initiative Playing Out à Bristol, en Angleterre, ou même dans le 19e arrondissement de Paris, avec le café Cafézoïde. A Londre, ils ont profité de la procédure permettant de couper la circulation pour organiser une fête de rue afin d’éloigner le trafic et laisser les enfants jouer devant leur maison.
De petites entreprises mettent aussi en place des solutions comme ces consultants en projets sociaux et urbains de “CriaCidade”, toujours à São Paulo, qui transforment les espaces publics à travers le regard des enfants pour une ville “plus humaine, plus durable, plus créative et joueuse”. L’initiative veut “porter la création de l’enfant” (traz o “cria” de criança) et porte le message suivant : “l’enfant parle et la ville écoute”. La fondatrice Nayana Brettas croit au pouvoir transformateur de l’enfant sur la solidarité, qui ne pensent pas seulement à eux mais voient la ville comme un tout. Elle constate que certains enfants remarquent quand il manque des bancs pour les mères dans les parcs ou lorsqu’il manque une rampe pour les personnes âgées ou les personnes en chaise roulante.
Pour que les enfants se réapproprient l’espace public, l’agence crée alors des espaces dans la ville dédiés aux enfants avec des jeux comme “le coin des enfants” (cantinho das crianças) ou dotés de petites maisons construites en palettes ou encore des dessins sur la rue qui leur permettent de suivre à vélo une trajectoire colorée en slalom. La méthodologie de l’agence est de sortir de la zone de confort du langage de l’adulte et de s’immerger dans l’univers infantile ce qui laisse libre cours à son imagination et permet d’inclure la perspective de l’enfant dans les politiques publiques.
La réappropriation des espaces publics passe aussi par la voirie. A Paris, les enfants se réapproprient la ville à bord d’un vélo à assistance électrique mis en place par des familles pour se rendre à l’école. Le School Bus est maintenant une entreprise proposée aux collectivités, permettant aux enfants de se rendre à l’école de façon ludique tout en sensibilisant aux enjeux environnementaux.
Si des citoyens et des groupements s’activent en faveur des enfants, des infrastructures plus formelles sont également installées celles du studio de design, Daily tous les jours à Montréal, au Canada. Le studio cofondé en 2010 par Mouna Adraos et Melissa Mongiat veut faire de la rue un terrain de jeu, aussi bien pour les adultes que pour les enfants, par le biais d’infrastructures urbaines qui invitent au jeu comme un karaoké géant, des balançoires musicales ou des capsules sonores.
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Les enfants, des acteurs de la ville à part entière pour des villes plus accueillantes
Certaines de ces solutions ont révélé que les enfants ont des besoins particuliers mais aussi qu’ils ont leur mot à dire. Avec leur regard neuf sur la ville, ils peuvent apporter de l’innovation avec le moins possible d’habitudes et de préjugés qui peuvent parfois diriger le quotidien des adultes. Les enfants sont alors des acteurs à part entière pour penser la ville et les mieux placés pour savoir ce qui leur convient le mieux lorsqu’il est question de concevoir pour eux.
Certains acteurs l’ont bien compris et depuis quelques années, des écoles naissent pour partager l’expertise urbaine et architecturale avec les enfants comme l’école d’architecture pour les enfants créée par le conseil d’architecture et de l’environnement de la ville de Paris. Cette expérimentation est une façon de les sensibiliser à l’architecture et à l’urbanisme dès le plus jeune en apprenant le panel des outils existants afin de s’approprier leur environnement proche. Cela questionne aussi la place de l’école dans l’intégration de l’enfant à la société. Certaines innovations pédagogiques s’engagent à ce que les enfants s’approprient des sujets de société ou participent à un projet. L’école de Trébédan dans les Côtes-d’Armor a invité tout le village à participer à la rénovation de l’école publique.
Tous ces cours leur permettent d’acquérir des connaissances leur donnant quelques clés de compréhension et de participation aux décisions de la ville. Et si socialement, les enfants apportent beaucoup, les écoles qui impliquent les enfants dans la confection de la ville peuvent aussi être l’occasion pour les acteurs de la ville de s’inspirer de nouvelles idées mais surtout de comprendre ce dont ils ont vraiment besoin.
Dans cette même perspective d’apprentissage, mais pour rendre l’expérience encore plus ludique et tangible, l’initiative Play:Ground, à NYC laisse les enfants créer leur propre espace de jeux. Le projet, monté par un groupe de parents permet aux enfants de libérer leur créativité de constructeurs d’un milieu de vie, en conditions réelles, leur permettant de s’exprimer en étant à 100% acteur de la fabrication de leur espace public. Ils peuvent construire leur propres attractions et y jouer sans l’intervention de leurs parents. C’est toutefois sur un espace dédié, à Governors Island, que la liberté est donnée au enfants de s’approprier l’espace urbain.
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Mais dans certains cas, la rue est déjà le terrain de jeu des enfants comme dans des territoires de conflits, révélant des inégalités selon les territoires. A Damascus en Syrie, “The life Street” transforme la rue en un support au profit d’un programme d’éducation informelle qui organise des activités interactives dans l’espace public autour de l’éradication de l’analphabétisme, l’autoprotection ou les valeurs sociales. L’ambition, malgré la précarité, est de faire des enfants des acteurs de changements positifs dans leur propre ville pour qu’elle reste formatrice et vecteur de l’apprentissage de la citoyenneté.
Alors que réintégrer l’enfant dans la confection de la ville demande des efforts innovants pour se démarquer des pratiques habituelles de l’aménagement, cette réappropriation par les enfants présentent de nombreux avantages qui contribuent à la fois à leur développement, à leur épanouissement personnel et à la socialisation tout en participant à penser des espaces urbains plus protecteurs et bienveillants pour tous.
Encore faut-il appréhender les lois économiques qui rendent la ville inégale en terme d’accueil et d’accès aux enfants. Si la pression foncière, l’augmentation des loyers poussent de plus en plus les jeunes familles des grandes villes compétitives comme Paris vers le périurbain, en repoussant par la même occasion les enfants hors les murs de la capitale, se pourrait-il que nous nous retrouvions avec des villes sans enfants ? Un risque bien réel qui a d’ailleurs poussé la ville de Paris a créer un Observatoire des familles pour limiter l’exode familial…
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