Rémi Boivin, docteur en sociologie, rompu aux enjeux sociaux et territoriaux des musiques live, avec comme terrain privilégié la ville de Marseille, vient de publier sa dernière enquête intitulée “Comment le rap construit sa centralité à Marseille?”.
En s’appuyant sur une enquête menée entre 2012 et 2016, le sociologue interroge la représentation des musiques urbaines dans un territoire, la construction d’images et de récits associés, la création d’ambiances urbaines et les enjeux et problématiques de la scène musicale dans l’espace public. Pourquoi un focus sur Marseille ? Parce que c’est la seule ville française qui aujourd’hui rivalise avec Paris en termes de production de rap et de hip hop et ce notamment, grâce à la construction progressive d’un imaginaire urbain qui fait autant évoluer la musique que l’image de la ville. Son enquête nous invite à questionner la ville à travers le rap et le rap à travers la ville.
En effet, l’imaginaire du rap marseillais affirme des traits explicitement liés au contexte urbain. Populaires, cosmopolites, rebelles, sales ou chaotiques, les textes et les sons retranscrivent et créent un marquage culturel directement associé à un territoire urbain. Le répertoire musical s’exporte partout en France, et jusqu’à l’international, transportant avec lui des lieux, des modes de vie, des traits culturels. Ainsi, le rap marseillais affirme une vision emblématique de la ville de Marseille, pourtant dans l’espace public, les manifestations musicales et les traces du rap se font rares.
Performer et mettre en scène la vitalité du rap à et de Marseille sont bien moins aisés qu’il n’y paraît et la structuration de la ville et de l’espace public en sont l’échos. Loin de la démocratisation et de la légitimation du rap ces dernières années, la structuration obsolète de l’espace urbain cantonne toujours largement les performances des rappeurs aux espaces périphériques et le centre-ville est dépourvu de scènes pour le genre musical.
Pourtant, la tendance évolue grâce aux rappeurs qui, peu à peu, se réapproprient les espaces centraux, transcendent les mondes musicaux et incarnent un imaginaire de la ville qui tend à mettre en lumière des problématiques urbaines dissimulées. Les tournages de clips dans le centre-ville, l’organisation de concerts réunissant une pluralité d’artistes locaux et l’affirmation de messages politiques, par exemple par les groupes de la Plaine, participent à renouveler l’espace urbain d’abord dans ce qu’il incarne et ensuite dans ce qu’il est, contre certaines tendances planificatrices. Ainsi, la ville construit le rap et le rap construit la ville, il joue et continue de jouer un rôle crucial à Marseille.