L’objectif est ambitieux et vise à atteindre une baisse d’au moins 40 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 (par rapport à 1990), mais la nouveauté a été d’inscrire spécifiquement ce travail collectif dans un esprit de justice sociale. 

Mais concrètement, qu’impliquent ses propositions pour nos villes ? Que disent-elles des potentiels changements à venir dans la fabrique urbaine ? Et comment le modèle de la Convention citoyenne pour le climat (CCC) vient-il soulever de nouveaux enjeux en termes de démocratie ? 

La Convention citoyenne pour le climat, qu’est-ce que c’est ? 

En octobre 2018, il est bon de le rappeler, un mouvement s’installe en réaction à la politique du gouvernement. Ce dernier vient souligner les problématiques auxquelles font face certains français et questionner la place de la justice sociale dans la concrétisation d’une transformation écologique des territoires. Ce mouvement, c’est celui des gilets jaunes. 

Née de cette crise, la Convention citoyenne sur le climat est alors présentée par le Président de la république Emmanuel Macron comme l’une des réponses qui donnera corps au “Grand Débat National”. Concrètement, 150 citoyens ont été choisis par tirage au sort avec un objectif représentatif de la population française. Les différentes sessions de travail se sont organisées autour de groupes thématiques, les citoyens travaillant en commun pour définir les mesures à entreprendre afin d’atteindre l’objectif bas carbone visé. 

Pour garantir la neutralité, la gouvernance a été organisée par le Conseil économique, social et environnemental, une institution constitutionnellement indépendante inscrite dans la constitution en 1946, qui se veut consultative et qui travaille sur différents sujets de fond pour accompagner les changements de la société. On le comprend, la Convention citoyenne pour le climat a été un exercice unique, donnant une place nouvelle aux citoyens. Mais qu’en est-il pour nos villes ? Qu’impliquent les mesures sélectionnées ?

Le choix de la ville circulaire 

Le groupe de travail “Se loger” se sont penchés sur la question du logement pour aboutir sur différentes propositions en faveur d’une transition écologique. Que peut-on en dire ? D’abord, que les propositions proposées mettent à l’honneur la rénovation des bâtiments comme axe prioritaire et essentiel dans la lutte contre le réchauffement climatique. Même si rendre obligatoire la rénovation énergétique globale des bâtiments d’ici à 2040 n’a rien de nouveau dans son principe, c’est tout de même un coup d’accélérateur pour les mesures déjà en place et une orientation claire en faveur d’une logique circulaire, priorisant l’intervention sur le bâti existant, qu’il soit public ou privé. 

S’affirment aussi différentes contraintes de rénovation à destination des propriétaires occupants et bailleurs. Cela pourrait davantage impliquer le privé dans l’effort de réhabilitation écologique, et d’ailleurs, pour faciliter et massifier ces rénovations, il est proposé de mettre en place un réseau de guichets uniques afin de dépasser le millefeuille actuel de dispositifs qui en décourage plus d’un. 

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Toujours dans une logique de circularité, la Convention citoyenne pour le climat (CCC) propose de privilégier la réhabilitation de friches et d’entreprendre l’évaluation du « potentiel de réversibilité de bâtiments avant toute démolition ». Cela pourrait accélérer le mouvement actuel en faveur de la reconquête des friches urbaines, mettant à profit les nombreuses dents creuses et bâtiments en désuétude. D’ailleurs, en continuité, la CCC propose d’autoriser les réquisitions de logements et de bureaux vacants, rendant ainsi disponibles des espaces sous utilisés dans nos villes. 

Pour accompagner toutes ces mesures, la CCC enclenche une réflexion sur la question de l’artificialisation des sols. Car il ne s’agit pas pour autant de favoriser la construction neuve par l’ouverture de nouveaux terrains à construire, ce qui impliquerait un étalement urbain consommateur d’espaces naturels. Au programme, arrêt immédiat des aménagements de nouvelles zones commerciales périurbaines, enveloppe restrictive du nombre d’hectares maximum pouvant être artificialisés, conformité des plans locaux (PLUI, PLU) avec les schémas de cohérence territoriale (Scot). Des restrictions qui laissent envisager une réduction des possibilités d’artificialisation des sols des collectivités sur une période de dix ans. 

La CCC place les dynamiques circulaires comme une solution pour la lutte contre le changement climatique, ce qui implique moins de constructions neuves et donc un gain en matériaux, une meilleure performance énergétique de l’ensemble du parc existant et par conséquent une réduction des besoins et consommations en énergie. Une ville circulaire, c’est aussi une ville compacte capable de se régénérer, ce qui implique une résilience sur le long terme et moins de distances à parcourir par ses habitants avec un accès à proximité de l’ensemble des besoins quotidiens essentiels. 

Tourner la page de la pollution automobile 

Côté “mobilités”, la CCC s’inscrit dans une affirmation des mesures déjà enclenchées en décembre 2019 avec la Loi d’Orientation pour les Mobilités. Dans une logique de réduction des effets de serre, la CCC propose aussi d’interdire l’accès aux centres-villes pour les véhicules les plus polluants, ce qui rappelle le principe des zones à faibles émissions déployées dans de nombreuses villes et encouragées par la Loi d’Orientation des mobilités. Pour accompagner cette dynamique, il s’agirait aussi d’interdire dès 2025 la commercialisation de véhicules neufs très émetteurs et d’encourager l’achat de véhicules propres. 

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Parmi les propositions, l’augmentation du fonds vélo à 200 millions d’euros par an pour financer des pistes cyclables, ce qui viendrait renforcer le fond vélo actuel et qui pourrait aider à la pérennisation des pistes récemment créées à l’occasion du déconfinement. 

Donner un coup de pouce à la transformation des modèles de consommation

De plus en plus de collectivités locales font des circuits courts une nouvelle voie de développement local, pour plus d’autonomie et la réactivation de filières locales. C’est aussi le chemin choisi par la CCC avec par exemple la proposition de créer des fermes municipales. Depuis le déconfinement, plusieurs collectivités se sont emparées de la question alimentaire, comme c’est le cas au Havre ou encore à Nantes qui ont développé des potagers urbains. 

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Les citoyens ont aussi proposé l’utilisation de la commande publique comme levier pour “valoriser les produits issus de circuits courts, locaux, durables et à faible coût environnemental”. Cela pourrait être pour nos villes la mise en place de charte en faveur de l’utilisation de matériaux biosourcés issus de filières locales dans les nouvelles constructions ou dans les travaux de rénovation. D’ailleurs, un guide sur cet enjeu a publié en Avril 2020 par le Ministère de la transition écologique et solidaire, ainsi que le Ministère de la Cohésion des Territoires. 

Les citoyens se sont aussi penchés sur la question des pratiques de consommation à travers la publicité. Pour accompagner les changements, la CCC propose d’interdire à partir de 2023 la publicité sur les produits les plus émetteurs de gaz à effet de serre et de prohiber les panneaux publicitaires « dans les espaces publics extérieurs ». Dans nos rues, les espaces publicitaires pourraient donc évoluer et tendre vers des stratégies plus durables, voire être régulés autrement. 

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Aussi, le “moratoire sur les zones commerciales en périphérie des villes” pourrait appuyer le développement d’une économie plus locale, basée sur le développement des commerces de proximité. En continuité de l’Action coeur de ville, programme de revitalisation des centres-villes des villes moyennes, et de l’élan lors du confinement, les commerces de proximité en lien avec des filières locales pourraient retrouver leur vigueur. 

Prendre le chemin d’une transition écologique plus juste et participative ?

De manière plus générale, l’existence de cette nouvelle instance vient questionner le besoin d’un renouveau de démocratie participative à enclencher pour mettre en œuvre l’action climatique. Comme le souligne Cyril Dion dans son intervention sur le plateau 28 minutes – Arte : “On connaît les solutions [..] depuis 40 ans et on connaît aussi le problème. Ce que l’on ne connaît pas, c’est la bonne modalité démocratique pour mettre en oeuvre ces solutions.” 

La question de la complémentarité des échelles et du lien avec l’échelle locale des collectivités se pose. Ces 150 citoyens, qui représentent ici une “France en miniature”, ont pensé des solutions à l’échelle nationale, or elles devront prendre corps localement. S’imagine alors la déclinaison d’une « participation citoyenne » graĉe à des « mini-conventions citoyennes pour le climat ». Pourtant, des outils existent déjà, telles que des Assises de développement durable, des Agendas 21, des Plan climat-air-énergie territorial, par exemple. Mais n’y a-t-il pas un besoin aujourd’hui de repenser globalement ces méthodes, pour permettre la création d’un outil global abordant l’ensemble des thématiques et permettant une gouvernance partagée ?

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L’exercice de la Convention Citoyenne pour le climat a réussi à prouver la force de l’intelligence collective. Les citoyens se sont réunis autour de différentes thématiques, centrées sur des thématiques transversales, visant à agir sur l’ensemble des aspects de la vie quotidienne : se loger, se nourrir, se déplacer, produire et travailler, etc. Le moyen d’entrer dans des sujets complexes par des enjeux concrets qui touchent chaque citoyen, avec une certaine neutralité. 

On le sait, l’écologie est au cœur de toutes les problématiques urbaines. Aujourd’hui, l’enjeu est aussi de penser des solutions et mesures rendant possible l’atteinte d’un objectif de justice sociale, pour concrétiser une écologie qui intègre tout le monde et qui ne participe pas à creuser les inégalités malgré elle. C’est ainsi que l’obligation de réhabilitation des logements a été pensé par les citoyens de la CCC. Cette mesure pourrait aussi permettre de lutter contre le mal logement en obligeant les propriétaires privés à remettre à neuf leur logement. L’idée de rendre les déplacements en train plus accessibles, avec une réduction de la TVA de 10 % à 5,5 % sur les billets, emprunte aussi ce chemin, tout comme l’idée de proposer des prêts à taux zéro pour l’achat d’un véhicule propre. 

La vague verte des municipales pour les métropoles urbaines va dans le sens d’une transformation active à venir de ces villes avec l’application de programmes résolument écologiques. D’ailleurs, Emmanuel Macron a annoncé la validation de 146 des 149 propositions de la CCC ce lundi 29 juin, avec un fond de « 15 milliards d’euros supplémentaires sur deux ans” pour une “conversion écologique de notre économie ». Cependant, la notion d’écocide est écartée. Elle s’était pourtant imposée dans les débats de la CCC, introduisant la question des limites naturelles et écologiques planétaires. Nouveau prisme de lecture qui pourrait aussi enclencher de nouvelles actions à l’échelle des villes, comme c’est déjà le cas par exemple à Amsterdam

Affaire à suivre donc, mais le monde d’après semble avoir prit le cap d’une transition massive en faveur d’une ville circulaire et résiliente. Encore faut-il trouver les leviers pour relever le défi d’une transformation incluant démocratie et justice sociale…

Photo de couverture Markus Spiske via Unsplash