Les jardins thérapeutiques, bien qu’ils émergent petit à petit, sont encore peu connus sur le territoire français. Pouvez-vous nous expliquer leurs principes ?

Nous savons, depuis les années 1980, que le contact avec la nature a un impact bénéfique sur notre santé et ce sous de multiples aspects : social, physique, psychologique, émotionnel… Le but des jardins thérapeutiques est donc d’agir en ce sens afin de reconnecter les personnes à la nature pour améliorer leur santé. Chaque jardin est réfléchi afin de répondre à des objectifs spécifiques pour un public cible bien précis. Qu’ils soient à destination d’enfants, de personnes handicapées, âgées ou malades, ces jardins thérapeutiques (ou jardins de soin) vont leur servir de support pour pratiquer l’hortithérapie, et des activités thérapeutiques encadrées par des professionnels. Ainsi, la nature est adaptée pour répondre plus précisément aux besoins des personnes.

Aujourd’hui, nous retrouvons ces jardins principalement dans les maisons de retraite, les hôpitaux et les centres médico-sociaux comme les foyers pour personnes handicapées. L’un des grands bénéfices de ces espaces étant l’apaisement, ils permettent par exemple de soulager les personnes qui souffrent de troubles anxieux, de dépression et de troubles du comportement.

Finalement les jardins thérapeutiques peuvent agir par plusieurs biais. D’un côté, leur structure et leur diversité de plantes vont leur attribuer des caractéristiques physico-sensorielles permettant la contemplation et l’éveil des sens. Et d’un autre bord, les animations et les ateliers organisés autour de la pratique manuelle et pédagogique vont faire travailler un large panel de facultés motrices et intellectuelles pour favoriser une bonne santé.

Finalement, comment cela se traduit concrètement ? Comment arrivez-vous à aménager ces jardins en fonction des besoins du public ?

Depuis 2016, notre entreprise (à vocation sociale) est appelée par des établissements de santé pour réaliser des jardins thérapeutiques au sein de leur organisme. Ensemble et dans une démarche de conception participative, nous réfléchissons au jardin et à sa vocation. En fonction du public de l’établissement, les objectifs thérapeutiques ne seront pas les mêmes, alors nous adaptons le projet pour répondre au mieux aux besoins du public. Par exemple, pour des personnes en situation d’isolement social, nos objectifs s’orientent davantage sur le contact social, le jardin se tournera donc vers des activités qui favorisent l’esprit d’équipe, la coopération et la cohésion, se traduisant par exemple par un potager. Pour des personnes qui ont des troubles de la motricité fine, les activités se tournent essentiellement vers la rééducation de la main par des gestes manuels comme la manipulation d’outils ou la plantation de graines de différentes tailles. Concernant un public qui souffre de troubles de la mémoire, comme la maladie d’Alzheimer, le travail vise plutôt les réminiscences, la sensorialité (notamment par l’usage de plantes aromatiques) et les capacités préservées.

©Terr’happy

Le jardinage est finalement un exercice physique complet en termes de mouvements. Il a un effet bénéfique global et permet de travailler un large éventail d’activités qui améliorent la santé.

Au-delà de la conception, vous réalisez et accompagnez le projet des jardins, comment vous organisez-vous ? 

Une fois que nous avons ciblé les objectifs thérapeutiques du jardin, nous pouvons le construire et l’aménager. Par la suite, il est essentiel de créer en interne une dynamique et une équipe pour faire vivre le projet. Chez Terr’happy, nous ne pensons jamais un jardin sans projet, il est primordial d’impulser une dynamique et une organisation pérennes pour animer le jardin, sinon nous perdons son attractivité et son but premier de pratique thérapeutique. Avec ma collègue, Stéphanie Personne, en plus d’être créatrices de jardin nous sommes également formatrices en hortithérapie. Nous formons donc l’équipe soignante de l’établissement à cette discipline, durant une année complète, pour qu’elle puisse comprendre et assimiler les fondements et la pratique thérapeutique du jardin. Le but est vraiment de rendre le projet autonome et de laisser l’établissement le prendre en main.

©Terr’happy

Après la formation et la mise en place d’une organisation autour du jardin et de ses usages, nous effectuons un suivi des espaces créés pendant un an. C’est l’occasion d’avoir un retour sur l’efficacité réelle du jardin en mesurant, si possible avec des indicateurs quantitatifs et qualitatifs, les impacts sur la santé des personnes.

Les jardins thérapeutiques sont-ils exclusivement réservés au public de l’établissement ou des particuliers peuvent également en bénéficier ?

Aujourd’hui les jardins que nous réalisons sont essentiellement à destination du public de l’établissement dans lequel ils sont implantés. Cependant, nous expérimentons actuellement une formule alternative. À l’Abbaye de Maubuisson en Val d’Oise, nous avons implanté en 2018 un jardin ouvert où les activités se destinent à un public plus large et divers. Dans le “jardin des possibles”, comme nous l’avons nommé, nous pouvons par exemple accueillir des personnes en insertion sociale, des personnes handicapées, des personnes en traitement médical (cancer…) ou encore des personnes âgées. Les groupes sont donc très variés et viennent souvent sous la responsabilité d’une structure médico-sociale, qui est venue nous solliciter en amont pour organiser un atelier d’hortithérapie. Le jardin ne dépend d’aucun établissement, ce sont donc nous qui en sommes coordinatrices.

Le jardin des possibles ©Terr’happy

Depuis cinq ans nous avons vu une évolution auprès des collectivités territoriales. Les conseils départementaux, en charge de l’action sociale, se penchent de plus en plus sur la création d’une transversalité sociale. Les financements de projet sont très cloisonnés : d’un côté les financements pour les projets destinés aux personnes âgées, d’un autre le budget réservé et alloué aux aides sociales etc. Cela paraissait impossible de trouver une réponse pour des financements plus perméables destinés à un public mixte.

Les jardins thérapeutiques se présentent donc comme une solution idéale puisqu’ils permettent de créer du lien social entre des publics qui ne se côtoient que très peu et qui sont indépendamment isolés. Dans un souci de protection, ces personnes se retrouvent souvent mises à l’écart de la société et n’ont que très peu d’occasions de se retrouver en contact avec la nature. Pourtant, nous savons à quel point le contact humain et la nature peuvent être importants et bénéfiques pour ces personnes-là. Ce sont précisément ces raisons qui nous ont motivé à fonder Terr’happy, nous croyons réellement aux capacités des jardins thérapeutiques à améliorer le bien-être et la santé des personnes. Nous l’observons à chaque projet et atelier : il y a toujours des intéractions et des synergies positives et valorisantes qui se créent entre la nature et les personnes.

Conscients des bienfaits de ces jardins, certains départements et  collectivités désirent aujourd’hui étendre le réseau des jardins de soin sur leur territoire. L’année dernière, nous avons remporté un marché avec le département du Val d’Oise pour réaliser plusieurs de ces jardins. Ceux-là ne seront pas publics mais seront ouverts à tous dans le cadre médico-social. Dans le même principe que le “jardin des possibles”, l’équipe interne chargée de l’animation du jardin pourra animer des ateliers avec des groupes de personnes externes à l’établissement. Ainsi, une maison de retraite pourra par exemple accueillir un groupe de jeunes personnes handicapées. Cela crée une synergie et des échanges entre les différents centres et établissements médico-sociaux.

Pensez-vous, que d’une certaine manière, ces jardins de soin contribuent à lutter contre le dérèglement climatique ?

Malheureusement, il serait trop ambitieux d’affirmer que nos jardins contribuent réellement à lutter contre les dérèglements environnementaux actuels. Le moyen le plus efficace reste, selon moi, de planter des arbres car ce sont eux qui vont pomper le plus de gaz carbonique sur une surface donnée. Dans nos jardins, nous plantons beaucoup de plantes annuelles qui disparaissent en hiver. Leur effet est donc minime sur ce sujet. 

Cependant, nos jardins permettent de (re)végétaliser l’espace ce qui contribue à créer des îlots de fraîcheur et à rendre plus perméable les sols tout en luttant contre leur artificialisation. D’une autre manière, les pratiques du jardin participent elles aussi à limiter les effets néfastes sur notre environnement grâce à la sensibilisation et la prévention. Bien que les jardins thérapeutiques soient encore peu connus pour être à destination du jeune public, nous travaillons aussi avec des enfants.

©Terr’happy

C’est alors l’occasion de les initier à la “pratique de la nature”. On se rend compte que les adultes ayant exercé des activités en lien direct avec la nature pendant leur enfance ont une conscience environnementale plus développée que ceux qui n’ont pas eu d’expérience du tout ou très peu. Nous faisons donc beaucoup de pédagogie avec les enfants pour essayer de faire disparaître leurs peurs vis-à-vis de l’environnement : insectes, terre, plantes… C’est très important, surtout avant l’adolescence, de donner aux enfants la possibilité de vivre des expériences de nature pour les éduquer et les sensibiliser au lien Homme-Nature.

Photo de couverture : ©Terr’happy