Le métavers, un vieux rêve

NFT, cryptomonnaie, blockchain … Autant de nouveaux termes qui semblent apparaître chaque semaine dans la presse, sans qu’on comprenne toujours de quoi il en retourne. Nouveau venu au milieu de ces nouveaux concepts que le grand public commence tout juste à s’approprier : le métavers, à la suite des annonces du PDG et co-fondateur de Facebook Mark Zuckerberg. Dans une vidéo de présentation qui se veut révolutionnaire, on peut le voir se déplacer grâce à un avatar dans une grande salle en réalité virtuelle, et rejoindre quelques-uns de ses confrères tout en jouant avec la sur-couche permise par le numérique.

Si ce concept de métavers fait aujourd’hui la Une d’une grande partie de la presse, alors même que l’entreprise de Mark Zuckerberg rencontre de plus en plus de problèmes et chute en bourse après des accusations portées par une lanceuse d’alerte et des pannes à répétition, le géant californien est très loin d’être le premier à y avoir pensé.

En plus des autres entreprises qui se sont engagées sur ce terrain depuis des années, on pense à toute une partie de la littérature et du cinéma de science-fiction qui s’est déjà projetée dans ce futur. La bulle de conversation qui apparaît dans les airs au-dessus du poignet de l’avatar du PDG de Facebook dans sa vidéo de présentation évoque instantanément les écrans de Minority Report que Tom Cruise manipulait à toute vitesse il y a bientôt vingt ans. Trois ans auparavant sortait le premier opus de la série de films Matrix, qui présentait lui aussi une forme de réalité virtuelle sur laquelle les cerveaux de la quasi-totalité de l’humanité étaient directement branchés, leur faisant perdre tout contact avec la « véritable » réalité physique et matérielle.

Les critiques formulées par ces films, auxquels on pourrait par exemple ajouter Ready Player One, se retrouvent aujourd’hui dans la presse, notamment celle du danger d’un monopole d’une entreprise sur tout un univers virtuel. Mark Zuckerberg lui même a déclaré « Espérons qu’à l’avenir, demander à une entreprise si elle construit un métavers semblera aussi ridicule que de demander à une entreprise comment se passe son Internet. » La concurrence sur le marché du métavers va donc se faire féroce, et on l’espère féconde au vu des premières itérations de Facebook-Meta qui semblent cruellement manquer d’imagination.

Le média Numerama n’a par exemple pas hésité à qualifier l’univers virtuel du géant américain de « ringard« , le comparant à des réalisations vieilles de vingt ans comme Minority Report justement, les Sims ou encore Second Life. On peut même dater le premier « véritable » métavers en 1992, à travers le roman Snow Crash de Neal Stephenson qui a préfiguré nombre d’œuvres des trois décennies qui ont suivi.

On peut légitimement se demander comment cet univers virtuel pourra bien fonctionner alors que les sites plus traditionnels de Facebook plantent régulièrement depuis quelques semaines, empêchant des millions d’utilisateurs de se connecter et d’échanger pendant plusieurs heures.

Une rencontre entre un professeur et ses étudiants sur Second Life en 2006 ©John Lester via Flickr

Même si la version de Facebook ne fait pas rêver, plusieurs expériences récentes de métavers interrogent le futur des expériences urbaines et même celui de la fabrique urbaine, et il s’agit de prendre au sérieux et de se préparer à cette possible révolution.

Vers une ville augmentée ?

Facebook, ou plutôt Meta, n’est pas la seule entreprise des GAFAM à s’emparer du métavers, puisque Microsoft développe aussi un concept plus précis à travers Mesh for Teams, la fusion de sa plateforme de réalité mixte Mesh et de son logiciel de visioconférence Teams. Les télétravailleurs pourront donc projeter un avatar dont le visage sera animé à partir de la voix de chaque personne, et des casques de réalité virtuelle permettront de réunir tous les avatars dans une salle de réunion virtuelle et ainsi d’aller plus loin que les simples carrés affichant les webcams sur son écran d’ordinateur. 

Si ce concept venait à fonctionner et à se diffuser, pourrait-il rendre caducs les espaces de coworking qui se multiplient depuis plusieurs années ? En effet, cette réalité virtuelle permet de simuler une rencontre physique, et d’augmenter considérablement son espace de travail à domicile grâce au métavers. Ce qui pourrait à terme libérer un grand nombre de surfaces, pour y développer d’autres espaces de logement, de loisirs, de service public, ou de tout autre usage non lié au travail. Reste à savoir si cette réalité virtuelle pourra réellement remplacer le véritable contact humain et physique, et si les urbains télétravailleurs voudront d’une sorte de ville à distance.

D’autres formes d’expériences et d’échanges sociaux concrets commencent également à apparaître au-delà du simple travail, notamment depuis un évènement capital qui a eu lieu en 2020 pendant le premier confinement sur le jeu vidéo Fortnite, très populaire chez les jeunes. À l’origine, Fortnite n’est qu’un représentant parmi beaucoup d’autres du genre du « battle royale ». Le principe est assez simple : vous incarnez un personnage parachuté dans une zone assez large parmi d’autres, et votre objectif est d’éliminer tous les autres jusqu’à qu’il ne reste que vous. Le jeu a explosé ces dernières années, ajoutant différents éléments au modèle de base avec la possibilité de customiser son personnage (moyennant un peu d’argent) ou même de le faire danser.

À partir de ces premières briques assez basiques, le studio Epic Games a cherché à organiser des évènements dans son monde virtuel, jusqu’au concert du rappeur Travis Scott qui a réuni par moins de 27,7 millions de participants, alors qu’il était impossible de sortir de chez soi plus de quelques minutes.

Des univers persistants que l’on retrouve dans des jeux vidéo comme World of Warcraft et Minecraft peuvent même être considérés comme des pures expériences urbaines, en cela qu’ils renouent avec le règne de l’anonymat que le sociologue Georg Simmel associait aux grandes villes, en opposition aux petits villages où chacun connaît tout le monde, empêchant tout échappatoire. Si on peut se féliciter du potentiel de (ré)invention porté par le métavers, cet anonymat reste tout relatif alors que les entreprises et les États du monde font la course à la collecte de données. La CNIL (Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés) alertait elle-même sur le sujet il y a quelques jours.

Une révolution urbanistique ?

Si le métavers ne risque pas dans sa mouture actuelle de totalement bousculer nos relations sociales en villes, il pourrait par contre modifier considérablement le métier des architectes, des urbanistes et de tous les acteurs de la fabrique urbaine au sein d’une nouvelle économie numérique basée sur la blockchain et les cryptomonnaies.

Une société immobilière virtuelle, Metaverse Group, a par exemple été rachetée par l’entreprise token.com à 50% pour une somme de 1,68 millions de dollars afin d’agir comme véritable société de gestion immobilière mais aussi de marketing et de promotion dans des univers virtuels. Parmi ceux-ci, Sandbox, Somnium Space, Vault Hill ou encore Decentraland autoproclamé « premier monde décentralisé possédé et gouverné par sa communauté« .

Upland, un autre univers virtuel, propose quant à lui de recréer notre monde dans le métavers, et à chaque utilisateur d’acheter des copies virtuelles de bâtiments réels. La version numérique de la Bourse de New York s’est par exemple vendue à 23 000 dollars, et l’investisseur pourra probablement la revendre à un prix bien plus élevé dans quelques mois ou années.

Au-delà de la pure spéculation immobilière, le métavers pourrait changer le rôle de nombre d’architectes à travers le monde. Grâce au métavers et à la technologie de la blockchain, il est maintenant possible à un architecte de concevoir une maison virtuelle pour ensuite la vendre à un client situé à l’autre bout du monde, sans avoir besoin de foncier disponible, ou d’autorisation d’urbanisme. L’année dernière, l’artiste Krista Kim a par exemple vendu la première maison digitale grâce à la technologie du NFT pour 500 000 dollars.

Le métavers peut donc constituer un terrain de jeu incroyable pour les architectes, libérés d’un grand nombre de contraintes réglementaires et créatives. Ne pourrait-on pas imaginer une mise au service de ces nouvelles technologies au service de tous les habitants ? Les praticiens pourraient par exemple concevoir des bâtiments d’habitation virtuellement, puis y inviter des futurs résidents ou acquéreurs à visiter cette première ébauche et ainsi mieux comprendre leurs usages et leurs envies, pour proposer des logements totalement sur-mesure, un sujet d’autant plus important depuis les confinements de 2020.

De la même manière, des villes entières pourraient être reconstituées de manière virtuelle, comme des maquettes 3.0, et il serait alors possible d’imaginer des PLU alternatifs en les testant en temps réel — ou plutôt virtuel. Nouvelles expériences, nouvelles méthodes de conception, nouvelles rencontres : les potentialités du métavers paraissent infinis. Reste à savoir qui le construira, et avec quels objectifs en tête.

Crédit image de couverture ©Sandip Kalal/Unsplash