Aujourd’hui, les villes font face à des enjeux majeurs en termes de mobilités urbaines. Un enjeu écologique: comment diminuer l’impact carbone de chacun, lié à l’utilisation massive de la voiture individuelle ? Un enjeu social: comment rendre la mobilité plus égalitaire entre les individus et les territoires ? Un enjeu urbain: comment désaturer les villes des véhicules individuels et libérer l’espace pour d’autres occupations ? 

Pour répondre à ces enjeux, les politiques publiques tentent de mettre en place des mesures spécifiques comme la gratuité des transports. Les chercheurs et les entreprises, quant à eux, s’emparent de cette opportunité pour développer des mobilités toujours plus innovantes. Au-delà de ces projets, des penseurs et économistes comme Eric Vidalenc réfléchissent à des plans d’actions modifiant les pratiques des habitants pour tendre vers une mobilité plus durable.  

 La gratuité des transports, réponse à tous les problèmes ?

Le sujet de la gratuité des transports a été abordé lors des campagnes présidentielles, notamment en réponse à la tension sur les prix du carburant provoquée par la guerre en Ukraine, pour Yannick Jadot. Certains pays en Europe, ont d’ailleurs déjà commencé l’expérimentation de cette idée, à l’instar de l’Espagne qui proposent des voyages régionaux gratuits (sous conditions) jusqu’au 31 décembre 2022.   D’autre part, l’Allemagne a instauré des billets de train à 9 euros pendant 3 mois, ce qui a incité des citoyens à s’essayer aux transports en commun puisque, selon la société de transport de Berlin, 1 passager sur 5 était nouveau. Olivier Wolff, le directeur général de la VDV (la Fédération des Entreprises de transports allemandes) a même annoncé que l’opération «a permis d’économiser autant de CO₂ qu’une année de limitation de vitesse sur les autoroutes», soit 1,8 million de tonnes de CO₂. 

Le Luxembourg se présente, lui, comme le premier pays européen à avoir rendu les transports publics gratuits depuis le 1er mars 2020. Une mesure tout d’abord sociale, puisqu’elle a amélioré le pouvoir d’achat des luxembourgeois, mais également une manière d’inciter un changement de pratiques.  La baisse de recettes liés aux abonnements n’a pas empêché l’Etat d’investir dans l’amélioration de ses transports. 4 milliards d’euros ont été investis pour construire de nouvelles gares, acheter de nouvelles rames de trains et des motrices. La flotte de bus, quant à elle, doit passer à l’électrique d’ici 2030. 

Un exemple que toute l’Europe devrait suivre, la France en tête ? Plus compliqué à dire qu’à faire, puisque le Luxembourg peut se targuer d’une richesse bien plus importante par habitant, et d’une échelle bien moindre plus proche de l’agglomération que d’un des pays voisins. Des paramètres centraux à prendre en compte avant de décalquer la mesure en France, d’autant plus que certaines lignes du réseau national (on pense par exemple au RER A) sont proches ou au-delà de la saturation. 

Si la gratuité des transports présente de nombreux avantages, il ne faut pas en oublier les limites. Déjà appliquées avec de bons résultats dans certaines villes (Dunkerque, Calais, …) ou sous condition de journées ou d’âge dans d’autres (Rouen, Nantes ou même Paris pour les moins de 18 ans), elle ne peut ni être dupliquée partout, ni répondre à elle seule à toutes les problématiques actuelles.

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L’innovation, meilleur outil au service d’une mobilité durable ?

Aujourd’hui lorsque l’on réfléchit aux mobilités urbaines de demain en terme d’innovation écologique, on fait souvent référence au développement de l’électromobilité. En se baladant dans n’importe quelle métropole française ces dernières années, on ne peut qu’être marqué par l’augmentation de l’offre en transports électriques (vélos, trottinettes, voitures…). Des chercheurs et des entreprises du monde entier ont déjà réfléchi à de nouveaux projets pour renforcer la présence et l’efficacité de ce secteur en ville. 

Parmi ces idées, on peut penser aux routes transformées en un vecteur d’énergie, comme le défend la société française Colas qui propose un concept de revêtement routier intégrant des cellules photovoltaïques. Ici il ne s’agit pas d’alimenter les véhicules mais des petits engins participant au réseau routier comme des éclairages. Un autre projet développé par ÉlectRon en Suède propose la construction de routes électriques pour le chargement dynamique des véhicules. 

Le Grand Paris n’est pas en reste avec le projet de navette intelligente imaginée en partenariat avec la start-up Padam et l’opérateur Savac . Lorsque plusieurs personnes réservent à l’avance leurs trajets, une intelligence artificielle est en mesure de calculer tous les déplacements pour optimiser le parcours du van. Une autre équipe, City Maker, a pour sa part développé au sein du Parking Europcar de Bastille une station e.co dédiée aux usagers de la plate-forme Marcel pour qu’ils puissent échanger et se reposer s en attendant que leurs voitures chargent (entre 1h30 et 2h). 

En matière d’électrique, les innovations promettant une ville plus autonome et connectée ne manquent pas, des exemples qu’on vient de citer jusqu’aux projets fous (et questionnables) d’Elon Musk.Toutefois, il est bien connu aujourd’hui que la fabrique des batteries électriques, censée résoudre notre dépendance au pétrole, nous rend paradoxalement plus attachés à l’industrie minière. Or l’extraction de métaux rares engendre des conséquences environnementales, politiques et sociales dans les pays concernés comme au Chili pour le cuivre. De plus, ces matériaux constituent des ressources épuisables et ne font que retarder l’impasse que nous rencontrons déjà avec le pétrole. D’un autre côté, l’avancée technologique n’arrangera pas en elle-même les problèmes urbains majeurs comme la congestion du trafic, les véhicules à l’arrêt, les modes d’occupation de l’espace inégalitaire… 

Alors quelle est la solution ? Les mobilités de demain doivent-elles encore répondre aux exigences du modèle capitaliste d’aujourd’hui ? Peut-on encore se cacher derrière l’étiquette pas tout à fait écologique de l’électrique et imaginer des engins toujours plus rapides, nombreux et performants ? La mobilité du futur doit-elle refléter nos désirs insatiables? 

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Innover ou changer nos modes de vie ?

A travers ces exemples d’innovation, nous pouvons réaliser que nous sommes toujours dans le paradoxe du «développement durable». Effectivement, ces deux termes sont en réalité opposés. Un développement sous-entend un progrès toujours sans limite, alors que l’adjectif durable, signifie prendre conscience, justement, des limites de nos ressources naturelles et d’espace. Or tout est une question de limite, comme le stipule l’économiste, Eric Vidalenc en reprenant la réflexion du penseur Ivan Illich: “Illich a énormément travaillé sur la contre-productivité. Il nous dit que si l’on met en place des moyens et dispositifs mais pas de cadre de régulation, ils finiront par dépasser l’objectif fixé et deviendront contre-productif. Illich parlait des voitures individuelles essentiellement, mais si l’on observe nos sociétés modernes, ça s’applique pour tout. Si on laisse l’Hyperloop ou la voiture autonome sans cadre de régulation, alors ils deviendront contre-productif. Cette mécanique est le fruit de l’industrialisation et de l’oubli des objectifs initiaux. On confond fin et moyens: est-ce la voiture ou la mobilité que l’on recherche ?”  Pour ne pas rentrer dans cette spirale sans fin, il faudrait sans doute mettre nos désirs de vitesse de côté. D’autant plus, que ces derniers créent une occupation de l’espace inégalitaire, comme le souligne Eric Vidalenc: “On va desservir encore plus les centres denses et riches, qui eux ont déjà une mobilité à haute vitesse. La notion de transport doit rester démocratique.” 

Alors, au-delà des innovations mastodontes, par quelles mesures pourrait-on désaturer les villes des voitures et offrir plus de confort à tous les citoyens en termes de mobilité ?   Eric Vidalenc a par exemple imaginé une solution qui combine la carotte et le bâton : proposer une vignette payante aux automobilistes de centre-ville, mais offrir en contrepartie un accès à tous les autres modes de transports, pour sortir de l’exclusivité de telle ou telle mobilité; 

Pour lui, il faut donc trouver une symbiose entre divers modes de transports pour arriver à une solution moins coûteuse mais plus efficace, écologique et économique.  Par ailleurs, l’idéal serait aussi d’inciter les individus à moins se déplacer en favorisant le télétravail, pour les emplois qui s’y prêtent. Enfin, certaines villes ont déjà mis en place des solutions post-carbones assez atypiques, comme la traction animale à Lausanne. Une dizaine de jours par an, un cheval équipé de plusieurs poubelles assure un tri sélectif avec les employés communaux du centre-ville.  

Le futur des mobilités ne se trouvent pas dans un seul chemin, que ce soit une mesure phare comme la gratuité ou dans l’innovation tous azimuts. Il s’agit plutôt de créer un compromis en incitant les individus à se tourner vers l’inter-modalité, tout en limitant les déplacements les “moins utiles”. Et ce, quitte à ralentir nos modes de vie qui ne cessent d’accélérer.

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