D’après les programmes des deux candidats au second tour, pensez-vous que de grands changements sont à venir d’un point de vue urbain ? Quel est, selon vous, le danger de l’extrême droite sur nos villes ?

Lorsque l’on regarde le programme de Mme. Le Pen, on remarque qu’il peut y avoir des conséquences dans tous les domaines. En ce qui concerne les villes, nous avons de l’expérience des villes administrées par son parti, le RN. A Béziers, Fréjus, Hénin-Beaumont ou Orange, il règne une forme de « tranquillité autoritaire”. Ce sont des villes propres, tranquilles, dans lesquelles les maires organisent des fêtes populaires ou des corridas à condition que ne se manifeste aucune politisation. Politiser amènerait à donner matière aux opposants, ce qui n’est pas bon pour l’image de la commune, alors on évite. La signature de l’extrême droite, c’est sublimer un passé idéalisé et s’y renfermer sans même se poser la question des avancées que nous avons pu connaître au cours du XXe siècle. À Béziers par exemple, des fresques trompe-l’œil ponctuent la ville et illustrent des scènes de vie des années 1900. Derrière cet art se cachent les regrets de ces années idéalisées. 

Évidemment si Mme. Le Pen est élue, elle ne deviendra pas la maire de toutes les villes de France. Mais nous pouvons imaginer une reproduction de ce schéma à l’échelle nationale, dans la mesure de ses moyens. En politique, la parole (ou la non parole) a des effets. Par ce biais, elle et son parti pourraient donc encourager à faire régner cette “tranquillité autoritaire” sur l’ensemble du territoire français. On peut imaginer qu’aucune mesure ne visera à rendre les villes plus humaines et démocratiques. Pour citer l’une des ambitions inscrites dans son programme, priver les étrangers de l’accès aux logements sociaux serait catastrophique. Aujourd’hui, certains bailleurs privés trouvent déjà tous les stratagèmes possibles pour ne pas louer de logements aux non blancs. Cette mesure légitimerait et normaliserait la discrimination, tout en libérant la parole raciste. D’un point de vue social, des dizaines de milliers de personnes se retrouveraient sans logement et se retrancheraient sans doute dans des quartiers en décrépitude, tout comme ce qui se fait dans les pays autoritaires. Finalement, avec l’extrême droite à la présidence, nous pouvons craindre une évolution encore plus inégalitaire des villes. 

Trouvez-vous que, globalement, le secteur de la mobilité a été suffisamment abordé dans les campagnes de cette élection ? Les mesures répondent-elles aux enjeux contemporains de nos villes ? 

Ce n’est pas réellement au niveau présidentiel que des sujets de ce type se décident, mais il peut y avoir des impulsions. Lors de cette campagne, je n’ai pas vu d’impulsion. Cela s’explique par le rapport complexe à la voiture. Aujourd’hui, il y a un vrai clivage entre les territoires où la voiture est nécessaire pour de nombreux trajets et les territoires où l’on tente de limiter son usage en raison de ses nuisances : congestion, pollution, bruit, etc. Cette fracture territoriale s’intensifie quinquennat après quinquennat, en raison de l’étalement urbain. Lorsque l’on est candidat à la présidentielle, j’imagine que l’on ne souhaite pas brusquer l’électorat. Certes, les candidats auraient pu expliquer que personne ne veut interdire la voiture mais seulement de limiter son utilisation à des trajets réellement “utiles”. Par exemple, même en campagne, emprunter sa voiture pour faire un trajet de 300 mètres, n’est pas nécessaire. Seulement, aborder ces questions demande de se justifier, d’expliquer et d’argumenter, ce que les candidats considèrent apparemment comme trop complexe. 

Compte tenu de l’urgence écologique et de la finitude des ressources naturelles, on aurait tout de même pu attendre que la mobilité soit un vrai sujet de débat. Or, les candidats ont préféré ne pas brusquer les automobilistes, y compris les deux candidates franciliennes qui ont pourtant, chacune à leur manière entrepris de réduire la place occupée par l’automobile. Valérie Pécresse affirmait, avant sa candidature, qu’il n’est pas envisageable d’emprunter son véhicule à chaque déplacement, d’autant plus si l’on est seul. Anne Hidalgo est surtout connue pour avoir limité la place de la voiture à Paris. Malgré ces positionnements locaux, les candidates ont semblé éviter le sujet de la mobilité. Les propositions d’Anne Hidalgo étaient floues et celles de Valérie Pécresse allaient même à l’encontre de ce qu’elle affirmait auparavant. La stratégie employée ici avait pour but de toucher un plus large électorat, notamment les personnes vivant en milieu périurbain et pour qui la voiture est présentée comme “indispensable”. 

J’ai aussi été frappé par les propos simplistes du candidat PCF Fabien Roussel, qui attaquait ses concurrents en défendant le tout-automobile. Emmanuel Macron qui propose quant à lui de développer la voiture autonome, comme si la technologie était la réponse à tous les maux de la mobilité. Finalement, nous avons eu le droit à une palette de semblants de réponses qui n’ont pas du tout été à la hauteur et qui se voulaient toujours très simples. Chaque candidat a eu peur d’écarter une partie de son électorat. Mais paradoxalement, certains et certaines n’ont eu aucun mal à assumer des propos racistes et xénophobes… 

Vous semblez sceptique à propos du plan d’Emmanuel Macron, développer le secteur de la voiture autonome n’est pas un bon axe d’action ?

Pour la voiture autonome, un bon nombre d’expériences ont été entreprises ces dernières années mais elles ont toutes échoué. Sur le parvis de La Défense, il y eut durant deux années (de juillet 2017 à mai 2019) une navette autonome et électrique qui devait proposer un service de mobilité interne au quartier. Finalement le service a été stoppé avant la date initialement prévue. En cause, les arrêts incessants du véhicule à chaque approche d’individus qui réduisent fortement sa vitesse et les dégâts physiques de la dalle en raison du poids du véhicule. A Rennes, ce fût exactement le même cas, la navette était sensible à la pluie ce qui la freinait trop souvent…

S’engager à développer le secteur de la voiture autonome n’est pas un plan concret, tout comme le leasing électrique également proposé par le président sortant. Ces propositions reposent sur l’idée que la technologie est omnipotente, et néglige les usages réels en mobilité quotidienne. C’est un raisonnement classique et systématique, beaucoup de maires ont le même réflexe. Évidemment je pense qu’il est peut être intéressant d’expérimenter, mais prétendre à l’avance qu’il s’agit de l’unique solution, ce n’est pas un bon raisonnement. Nous l’avons bien vu avec le projet d’aérotrain, dans les années 1970, ou encore avec Autolib’, le service public d’autopartage de voitures électriques en libre-service qui a pris fin en 2018 dans l’agglomération parisienne.

Sans candidat de gauche au second tour, devons-nous dire au revoir aux mobilités douces ? Quel est le bilan du quinquennat Macron ? 

Sous le quinquennat Macron, le vélo a été largement valorisé. Elisabeth Borne, lorsqu’elle exerçait en tant que Ministre des transports, a tout fait pour légitimer les trajets à vélo. C’est un domaine que le gouvernement de Macron a mieux compris, que ses prédécesseurs. Quand, en 2015, les partisans du vélo venaient parler de vélo au cabinet de la ministre de l’écologie, on leur riait au nez. Après 2017, il y eut un tournant dans la prise en considération de cette mobilité. En 2018, un Plan Vélo National a été annoncé. C’est la première fois que l’État décide d’investir massivement (350 millions d’euros) dans ce secteur, que ce soit pour construire ou rénover des infrastructures ou encore pour enseigner le vélo dès le plus jeune âge à l’école. Grâce à ce plan, les collectivités obtiennent des financements de l’État beaucoup plus rapidement qu’auparavant. La Fédération française des usagers de la bicyclette a, grâce à son activisme permanent, réussi à se faire entendre par le gouvernement. On peut donc imaginer, que si Emmanuel Macron est réélu, le secteur va être davantage développé.

En ce qui concerne Mme. Le Pen, c’est impossible à prévoir. Tout d’abord puisque rien n’est évoqué dans son programme à ce sujet mais aussi parce qu’à ce jour nous n’avons aucune indication concernant la composition de son gouvernement en cas d’élection. Je suppose tout de même que si elle obtient une majorité aux législatives, le développement des mobilités douces ne sera pas une priorité. De façon générale, les sujets non abordés dans le programme du RN, révèlent une certaine impréparation. L’angle d’attaque de ce parti se résume au nationalisme.

Réinvestir et développer le secteur ferroviaire a été évoqué par quelques programmes, on suggère notamment la réouverture des petites lignes (principalement à gauche). Aujourd’hui, quel est l’enjeu de ces lignes ? Quelles solutions s’offrent à nous ? En quoi le secteur ferroviaire est-il prometteur ? 

Les candidats de gauche promettaient tous des investissements très forts prévus pour le ferroviaire en général et les transports du quotidien, qu’il s’agisse des TER, des lignes secondaires ou des transports urbains. À l’inverse, la droite prévoyait surtout des investissements sur les TGV, ce qui n’est utile que pour une minorité de personnes, comme les cadres par exemple. 

L’enjeu des petites lignes ferroviaires est très important dans le sens où il fait partie de la maille d’un réseau alternatif à la voiture. Aujourd’hui, il y a toute une série de solutions alternatives aux automobiles, mais bien souvent elles sont traitées indépendamment les unes des autres. Le réseau de chemin de fer est la base des déplacements interdépartementaux c’est pourquoi il faut les réinvestir et réussir à construire une organisation qui lie les petites lignes, le TGV, les cars… Cela passe par l’offre de nouveaux services comme les trains de nuit. L’État n’a actuellement pas de politique globale de transport ferroviaire mais je reste convaincu que nous retournons dans la bonne direction. Il faut persévérer, les élus locaux doivent continuer à faire pression pour la sauvegarde de ces lignes et pour obtenir les compétences nécessaires à leur gestion. C’est pourquoi la société doit évidemment rester démocratique.  

Vous êtes l’auteur du livre “Comment la France a tué ses villes”. Vous expliquez que les logements vacants, la baisse du niveau de vie, la stagnation de la population, mais aussi, et surtout, la voiture sont les causes de l’asphyxie de nos villes. Avec la future élection, pensez-vous que le phénomène va s’accentuer ? Que faudrait-il faire pour y remédier ? 

Il y a eu une prise de conscience récente depuis quatre ou cinq ans sur ce sujet. L’État s’est engagé dans la revitalisation des villes par des plans et des programmes d’action, le plan “Action cœur de ville” lancé en 2018 ou encore le plan des “Petites villes de demain” démarré en 2020. Mais le plus important a surtout été la prise de conscience locale du sujet. Dans certaines villes, les habitants se sont motivés et ont montré une forte détermination pour faire (re)vivre leur commune. L’initiative habitante a pu largement contribuer à la revitalisation de certaines villes. Cependant, la démocratie est, ici encore, la condition sine qua non à ce type d’impulsion. C’est pourquoi je doute de l’avenir de ces projets en cas de victoire de l’extrême droite à cette élection. Au début de la campagne présidentielle, je m’attendais sincèrement à ce que l’extrême droite réfléchisse à ces questions de revitalisation dans un but de préservation des traditions et du patrimoine français, mais ce n’est visiblement pas le cas. Leur programme ne contient, encore fois, pas de propositions sur ce plan, et de ce que l’on peut voir dans les villes moyennes frontistes, ce n’est pas encourageant. 

Concrètement pour remédier à l’asphyxie de nos villes, il faut limiter l’étalement urbain, arrêter de raisonner en tout-voiture, s’opposer aux grands distributeurs… J’ai le sentiment que ces réponses sont comprises par un grand nombre de personnes maintenant. Cependant, la parole de l’État a une place prépondérante sur ces questions, il est donc important que le futur gouvernement partage ces idées. Sur ce point, j’ai trouvé très intéressant que la Ministre du logement Emmanuelle Wargon se positionne sur le pavillon individuel et ses effets néfastes. Je reste convaincu que le discours serait différent sous un gouvernement d’extrême droite.

Crédit photo de couverture : ©Getty