Dans un monde apparent sans limites, les pays tracent leurs « frontières » en repoussant la violence sur leurs marges. D’une part, les camps de transit, de réfugiés, les campements de fortune et les centres de rétentions se multiplient et se diversifient, d’autre part, certaines frontières se durcissent, bloquant, contrôlant, expulsant les individus. Tantôt murs de béton, tantôt barrières électrifiées, tantôt clôtures surveillées, les « murs » s’alignent aujourd’hui dans le monde sur plus de 18 000 kilomètres de long.
 
Alors que la chute du mur de Berlin en 1989 laissait présager une avenir sans murs, l’histoire récente des Etats Nations nous prouve qu’en quelques années, plus d’une trentaine de barrières ont été érigées de par le monde.
 
Les murs bâtis entre les États­Unis et le Mexique, la Chine et la Corée du Nord, l’Arabie Saoudite et le Yémen, l’Afrique du Sud et le Mozambique, les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla et le Maroc et, depuis peu, entre la Grèce et la Turquie… font office de grilles anti-immigration. Au Cachemire, entre l’Inde et le Pakistan, ou entre la bande de Gaza et Israël, ou encore entre l’Egypte et Gaza, les murs servent à officialiser la partition d’un territoire et à protéger d’une invasion potentielle.
 
Ainsi, parfois destinés à prémunir de l’immigration clandestine, le terrorisme et le trafic, les murs sont aussi utilisés comme réponse politique à un conflit territorial ou sont encore édifiés afin de cloisonner les populations. Mais quelles que soient les situations, les murs protègent du danger incarné par ceux que l’on considère comme « indésirables ».
 
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Carte des murs du monde en 2001. Source : Elisabeth Vallet, Claire Raoul Dandurand, UQAM et compilations

 

Les gated communities


 
Partout dans le monde, la volonté des citadins de dresser des obstacles entre leur espace « privé » et le monde extérieur passe par la mise en place de résidences enceintes de murs et équipées de vidéo-surveillance, d’un gardien présent 24h/24 ou de barrières du type passage à niveau. Ces espaces enclos et clos du monde (une métaphore du paradis ? ) peuvent prendre des typologies variables. Quartier ou immeuble, rue privée ou complexe de buildings, le « gated community », concept tout droit importé des États-Unis, met en avant les méthodes de sécurisation, la recherche de l’entre-soi et une certaine autonomie vis-à-vis de la politique locale de gestion d’un quartier.
 
Cette ségrégation territoriale rend visibles des évolutions sociales inquiétantes. Elle prend naissance dans l’émergence d’un sentiment nouveau : celui de l’insécurité. L’expression de la peur de l’autre s’exprime par la privatisation rampante des villes. Qui plus est, au-delà d’une privatisation de l’espace public, cet entre-soi semble traduire un renoncement à l’expérience de l’altérité qui donne tout son sens à la ville : l’urbanité.
 
En effet, dans ces quartiers dortoirs, l’essentiel de la vie quotidienne s’effectue ailleurs. Dépourvues d’écoles, de services, d’entreprises… elles poussent leurs résidents à aller vivre – travailler, étudier, consommer, se divertir – en dehors de leur aire géographique, loin de leur « quartier ».
 
Mais quelle est la poule et quel est l’œuf ? Est-ce l’émergence des gated communities qui a poussé leurs résidents à les déserter le jour, ou est-ce la disparition d’une vie de quartier qui est à l’origine de la surveillance contrôlée ? Les gated communities sont-elles l’affirmation ou bien la conséquence du repli communautaire ?
 
Certains affirment que c’est la disparition de la vie d’un quartier et des liens entre voisins qui a amené la mort de la surveillance collective et le jaillissement de la peur de l’« étranger ». Autrefois, chacun, commerçants, passants, riverains, constituait ce que Jane Jacobs a appelé les « yeux de la rue ». Aujourd’hui, la norme dissuadant de se mêler des affaires des autres et la disparition de la synergie tutélaire du quartier favorisent le recours à des dispositifs techniques ou à du personnel spécialisé pour contrôler les comportements.
 
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