Ricardo Montezuma est professeur d’urbanisme à l’université nationale de Colombie, spécialiste des mobilités, notamment actives ou « durables ». Il est aussi le directeur de l’ONG Fundaciòn Ciudad Humana. Il a fait ses master et doctorat à l’école des Ponts, section urbanisme, il y a une vingtaine d’années. Nous l’avons rencontré au congrès Velo-city, à Nantes, et retrouvé sur les bords de la Seine à Paris.
Vous m’avez dit que la fermeture dominicale de la voie express de la Seine à Paris avait joué un rôle important mais pas majeur. C’est bien ça ?
En effet, en 1996 (première année de leur fermeture chaque dimanche) je trouvais que peu de gens s’y rendaient. Elles ont joué leur rôle, mais pas plus que la grande grève de fin 95 (dont il faudrait fêter l’anniversaire !), le congrès Velo-city en 2003 à Paris ou l’arrivée des Vélibs (en 2007). Aujourd’hui je note aussi l’arrivée de quantité de nouveaux engins, rollers, trotinettes, skates… et de pratiques ludiques et sportives de la marche. Toutes ces pratiques ont donné lieu à l’émergence de « communautés », tout comme celles des fixies, des vélos cargos, des bromptomistes etc.
Mais encore ? Peut-on parler pour les berges parisiennes de « Ciclovias recreativas » comme en Amérique latine ?
Oui, quand même, et même désormais de ciclovia de 2nde génération, puisque les véhicules à moteur n’y reviennent plus ! J’apprécie le caractère éphémère de ses installations, qui permet de tout modifier d’année en année.
Comment voyez-vous la situation du vélo en France ? Vous dites souvent que le pays laisse passer sa chance.
Il y a encore beaucoup à faire, et la France devrait mieux se servir de ses atouts. Ce pays dispose du plus gros événement de vélo du monde, même si elle ne l’a pas gagné depuis 30 ans. Il est indéniable que le Tour de France a favorisé le vélo populaire. Aujourd’hui les multiples « communautés » évoquées plus haut rafraichissent l’image du vélo. Leurs adeptes personnalisent leurs vélos, qui sont souvent chers, ils introduisent de la compétition sportive et du jeu au cœur de la ville, ils créent une culture urbaine « branchée », faite de mode, de tenues sportives revisitées, etc. Il faudrait s’appuyer à fond sur ces richesses ; il faut que le vélo urbain profite à nouveau de l’image du Tour de France (et vice-et-versa d’ailleurs)… et que ces modes soient pérennisées, tout en redevenant populaires.
Paris sera-t-elle la « capitale mondiale du vélo » ?
Paris a tous les atouts pour ça, mais ne peut pas y arriver aussi vite que cela a été annoncé. Je me souviens de Velo-city à Paris en 2003 : Jens Kramer-Mikkelsen, le maire de Copenhague, y avait annoncé qu’à partir de ce moment-là il mettait tout en œuvre pour devenir la capitale mondiale du vélo. Ils ne l’étaient pas du tout, à l’époque, et là, ça y est, Copenhague est classée première, devant Amsterdam !
Paris, ville de proximités, a tous les atouts pour devenir la capitale mondiale du vélo, mais pour cela il lui faut d’urgence changer d’échelle. Il lui faut faire comme François Mitterand pour ses grands travaux, il lui faut nommer quelqu’un de très haut niveau à la tête du vélo à Paris, un quasi-ministre en quelque sorte. Celui-ci devra mettre les techniciens en ordre de marche, gérer les rapports avec la préfecture de police, avoir du poids politique et une grande gueule. Sinon … il ne se passera rien.
Parlez-moi un peu de votre action
Notre fondation Ciudad humana (ville humaine) a été créée il y a 15 ans pour mettre le vélo dans l’agenda politique. Elle intervient en tant que lobbyiste, et, avec son équipe permanente de 7 à 10 salariés, elle répond aux appels d’offres pour études ou interventions dans toute l’Amérique latine. Elle bénéficie du partenariat de l’agence française de développement et de la banque mondiale. Elle participe aux processus en cours, par sa réflexion comme par ses projets concrets ou ses colloques. Par exemple il y a trois ans nous avions organisé le sommet latino-américain des maires autour de « Ville et changement climatique ». Denis Baupin (ancien maire-adjoint au déplacements à Paris, aujourd’hui député) y était d’ailleurs présent.
Et les ciclovias, qui fascinent tant en Europe ?
J’ai publié il y a quatre ans le livre « Ciudadanos, Calles y Ciudades » (Citoyens, rues et villes) qui les présente toutes, et qui montre en quoi elles ont été inspirées par Bogota, il y a déjà 40 ans, jusqu’à Alicante (Espagne) et New-York. Le 10° congrès des ciclovias a eu lieu cette année en Argentine, avec 50 villes. A Ciudad humana nous avons créé le réseau « Ciclovias Recreativas de las Américas » pour les faire connaître, et surtout les évaluer. Nous avons voulu notamment, avec l’organisation pan américaine de la santé, les observer sous l’angle de la santé publique.
• Ecouter Ricardo Montezuma sur Francebleu 107.1
• Fondation Ciudad Humana
• Ciudadanos, Calles y Ciudades. éd. Linio, août 2011.
• Réseau Ciclovias recreativas de las Americas