Le boom du tourisme domestique
Alors que les réservations pour les voyages à l’étranger cet été sont encore 20% inférieures à celles de 2019, l’industrie du tourisme domestique se réveille en mai 2021 avec une augmentation exponentielle des recherches et des réservations pour le pont de l’Ascension, comme pour les vacances d’été. Les récentes levées de restrictions de déplacement ont donné de l’air aux français, et les ont encouragés à quitter leurs villes le temps de quelques jours. En effet, contrairement aux années précédentes, il semblerait que les grandes villes n’attirent pas les citadins qui cherchent plutôt à s’échapper en masse vers le littoral, la montagne ou la campagne, pour se ressourcer.
Plus de 12 millions de voyages sont prévus pour le week-end de la mi-mai, dans une dynamique similaire à ce qu’on a pu observer en Chine où 265 millions de trajets ont été prévus pour les cinq premiers jours de vacances depuis le début de la pandémie, avec des attroupements spectaculaires sur la muraille de chine ou la place Tian’anmen, rappelant les phénomènes d’overtourism qui avait temporairement disparu en 2020.
Le tourisme domestique était déjà majoritaire avant la pandémie selon l’Organisation Mondiale du Tourisme avec pas moins de 9 milliards de voyageurs internes contre 1,4 milliards de touristes internationaux en 2018. Il représente d’ailleurs 75% des dépenses touristiques totales dans les pays de l’OCDE. Ces dernières années, le tourisme français était également soutenu par la hausse du tourisme domestique, que ce soit dans l’industrie hôtelière, de camping ou via Airbnb alors que l’Hexagone voyait moins d’étrangers visiter son territoire. Cette hausse de voyageurs intérieurs a bénéficié à toutes les régions à l’exception de l’Île de France, permettant un équilibrage territorial des retombées économiques du tourisme.
Alors que certains pays cherchent à relancer leur industrie touristique en attirant des visiteurs étrangers en leur proposant le sésame du vaccin contre la Covid-19, que d’autres capitalisent sur des nouvelles formes de tourisme comme l’Islande à travers l’éruption spectaculaire d’un de ses volcans ou en capitalisant sur le dark tourism à l’instar de l’Ukraine, plusieurs villes françaises prennent le contre-pied en cherchant à faire découvrir aux citoyens hexagonaux des sites à quelques pas de chez eux.
Des touristes qui fuient les grandes villes
Pour la première fois depuis plusieurs mois, les français vont pouvoir s’évader durant le pont de l’Ascension. Le site de PaPVacances nous indique que les réservations de logements ont bondi de presque 26% par rapport à la même période en 2019, nous montrant bien un désir de voyager plus fort après des mois de restrictions des mobilités. Puisque les déplacements à l’étranger sont fortement limités et que la couverture vaccinale n’est pas assez importante, ce weekend de l’Ascension sera porté par le tourisme domestique, avec des destinations intéressantes à analyser, à 3h de voiture en moyenne du domicile. En effet, seuls 0,5% des vacanciers ont réservé un logement dans une grande ville contre 8% il y a deux ans. Les français préfèrent partir vers les littoraux avec 86,6% de réservations en bord de mer, ou à la campagne pour 10% d’entre eux, ce qui représente une augmentation de respectivement 4 et 6 points par rapport au dernier pont pré-pandémie.
Crédit image ©WeWard
On le voit donc bien, les métropoles ne font pas rêver les vacanciers, pas plus que les citoyens en général comme on l’a observé dans les mouvements dits d’exode urbain l’année dernière. Un désamour des grandes villes qui peut s’expliquer par la désignation de celle-ci comme responsable de la propagation du virus, une idée que nous avons cherché à nuancer dans une vidéo sur notre chaîne youtube. Comme on peut l’observer sur la carte précédente qui présente les destinations des vacanciers selon leur département d’origine, Paris est particulièrement boudé ce week-end de l’Ascension, et on peut se demander si la ville lumière redeviendra dans les années à venir la plus visitée au monde comme le pensent certains professionnels.
Dans tous les cas, différentes régions ont tenté de sortir leur épingle du jeu en engageant des plans de relance de leurs industries touristiques. Ces derniers passent notamment par l’octroi de chèques vacances l’été dernier, notamment par la région Provence-Alpes-Côte d’Azur qui a offert des bons d’une valeur de 500 euros aux salariés locaux, ou par le département des Landes avec des chèques de 150 euros attribués aux “premiers arrivés”. Un plan qui se double de stratégies de communication qui surfent sur la vague de ras-le-bol des métropoles avec des campagnes publicitaires affichées dans le métro parisien, notamment pour le Pays Basque. Il d’ailleurs intéressant d’observer que ces publicités ne se limitent désormais plus à la seule période estivale, et que les agences de développement touristiques tablent plutôt sur un tourisme plus étalé à travers l’année. On peut cependant également avancer que cette augmentation des campagnes marketing tient aussi à la compétition que se livrent les différentes régions et métropoles françaises.
Si ces stratégies de marketing territorial peuvent porter leurs fruits en attirant des nouveaux visiteurs, certains professionnels tirent la sonnette d’alarme et proposent de se servir de la crise épidémique pour procéder à un véritable examen de conscience. C’est notamment ce qu’on peut lire dans cette tribune parue dans Libération consacrée au tourisme en montagne. Selon l’auteur, plutôt que de se contenter de grandes campagnes marketing, il s’agit également de favoriser l’accessibilité à une pratique de plus en plus réservée à des clients internationaux à hauts revenus, au détriment des habitants à proximité aux revenus plus faibles. Le tourisme du monde d’après s’annonce radicalement différent, et est déjà porté par des villes comme des citoyens qui ont décidé de voyager différemment.
Nous ne voyageons jamais plus comme avant
La pandémie a radicalement modifié les habitudes de voyages des touristes français, moins enclins à partir à l’étranger notamment. Les débats autour du passeport sanitaire ou encore de l’ouverture des frontières européennes aux visiteurs états-uniens posent des questions autour de l’égalité d’accès au voyage et de la liberté de circulation. Ce retour progressif au tourisme international, capital au vu du poids économique qu’il représente, n’est pas du goût de tout le monde. En effet, on observe depuis plusieurs années une opposition au tourisme de masse notamment à Venise, ou encore à Bayonne ou certains habitants menacent de “balancer des jambons” sur les vacanciers, dans une région durement touchée par la crise du logement.
Le tourisme du futur sera-t-il plus lent, plus propre et plus curieux ? La pandémie a accéléré des changements de pratiques touristiques déjà amorcées cette dernière décennie, nourries par les considérations écologiques. Ces nouvelles façons de voyager se détournent de l’avion, dont l’impact environnemental est jugé catastrophique, pour se tourner vers des vacances alternatives, à proximité de chez soi et à travers des modes de déplacements plus doux. On parle alors de slow tourism pour définir ce tourisme qui prend son temps, à travers des séjours plus longs qui permettent de s’imprégner davantage d’un territoire, en opposition au tourisme de masse et de consommation. La plateforme Airbnb a bien saisi cette croissance du tourisme, et s’implante de plus en plus dans les communes rurales, en partenariat avec leurs maires qui espèrent même pouvoir attirer de nouveaux habitants plus fortunés dans leurs villes et villages.
Si les grandes villes n’ont pas la côte pour le week-end de l’Ascension, les villes moyennes ont une carte à jouer pour attirer les français frileux des déplacements internationaux. On entend parler depuis quelque temps d’une “revanche” des villes moyennes, dont l’industrie touristique résiste bien à la crise sanitaire. Villefranche-sur-Saône, Pau ou encore Chambéry ont réussi à conserver entre 72% et 83% de leur fréquentation habituelle entre mars 2020 et mars 2021, en s’appuyant notamment sur le programme Action Cœur de Ville. Des initiatives misent également sur la curiosité des voyageurs à travers des walking tours loin des lieux sur-fréquentés, le développement du tourisme industriel ou encore la mise en place de refuges périurbains autour de Bordeaux qui invitent à visiter des espaces reculés de la ville-centre.
Les choix de destination des français profitant du week-end prolongé de mai 2021 nous indiquent une très forte envie de s’éloigner des villes, et notamment des grandes métropoles avec 16 fois moins de réservations dans celle-ci par rapport à 2019. Si ce phénomène peut être considéré comme une parenthèse avant le retour à des situations de tourisme de masse, des tendances plus profondes se dessinent avec la recherche d’un tourisme plus durable, responsable, et plus proche de son domicile. Les petites et moyennes villes françaises, qui agissent depuis plusieurs années pour améliorer leurs centre-villes, pourront alors bénéficier de cette nouvelle demande en attirant des citadins à la recherche de nouvelles expériences.
Crédit photo de couverture « Perigueux » ©dvoevnore/Getty Images