Le fantasme de la ville-musée
La France regorge de trésors ! Du monument historique, à l’immeuble d’agrément en passant par une belle usine, le patrimoine a mille et un visages dans nos villes. À chaque époque se succède les couches du temps, avec ses ajouts, ses modifications et transformations. La préservation et la destruction de bâtiments, ou même morceaux de la ville, modèlent donc les espaces urbains.
Certaines villes se caractérisent même par le fait qu’elles sont figées dans le temps, comme Carcassonne, Venise, Prague, Saint Malo, qui reflètent l’atmosphère d’une époque de part l’homogénéité de leur patrimoine bâti. Il semblerait inconcevable de rompre leur harmonie, de détruire certaines de leurs rues pour construire des projets plus modernes.
Dans les Cités obscures, le dessinateur François Schuiten et le scénariste Benoît Peeters imaginaient ainsi un Paris sous cloche pour préserver son patrimoine de la jungle urbaine futuriste et de ses projets verticaux en béton qui l’entourent. Ainsi, dans leur imaginaire, les arrondissements centraux ont été sauvegardés, les éléments les plus désirables ont été conservés tandis que les parties les moins flatteuses de la ville sont, elles, transformées.
Mais faut-il aller jusque là ? Muséifier certaines parties de la ville ? Il est vrai que sans des dispositifs de mise en valeur du patrimoine, ce dernier peut être rapidement menacé. Que serait devenu le quartier du Marais, premier secteur sauvegardé de France, sans la fameuse loi Malraux de sauvegarde du patrimoine de 1962. Le quartier, qui était à l’époque en très mauvais état, aurait bien pu être rasé pour laisser la place à des constructions neuves modernes.
En France, de nombreux dispositifs d’urbanisme ont permis de préserver le patrimoine architectural de nos villes, comme des secteurs sauvegardés ou zone de protection du patrimoine. Cette question réapparaît néanmoins, avec la récente loi ELAN qui permettrait de passer outre le besoin d’avoir l’autorisation des Architectes des bâtiments de France pour valider des projets. En effet, les monuments historiques font l’objet d’un périmètre de protection de 500 mètres, ce qui permet de maitriser l’urbanisation autour de ces lieux patrimoniaux, pour des paysages urbains plus harmonieux, et de veiller à leur conservation. Un dispositif certes contraignant mais qui a aussi permis de mettre en valeur le patrimoine des villes.
Alors comment changer la ville, ne pas la figer, tout en préservant son histoire ?
Il y a autant de patrimoine, qu’il y a d’histoires. Chaque lieu peut renaître différemment. Que se soit la transformation d’une piscine à Roubaix en musée ou d’une ancienne caserne en lieu alternatif, comme le projet Darwin de Bordeaux, la bonne recette semble être celle de mêler la préservation du lieu tout en lui donnant un nouveau sens et un rôle dans la vie de son quartier, et plus largement de sa ville.
Garder le patrimoine, faire la ville sur elle-même, cela nécessite forcément de l’ingéniosité. Penser la reconversion des lieux, en leur redonnant une nouvelle fonction, permet de donner une nouvelle vie au patrimoine.
Créer des liens avec le présent peut être aussi d’oser mêler les architectures, comme le fameux projet de la pyramide du Louvre qui avait provoqué une polémique à son installation, mais qui aujourd’hui participe pleinement à l’atmosphère du lieu.
Roubaix est également un parfait exemple, puisqu’après avoir changé de regard sur son patrimoine industriel, la ville a su pleinement en tirer profit. Elle a fait appel à des architectes reconnus pour le réhabiliter, lui donner une nouvelle image et ainsi écrire une nouvelle page de son histoire. D’espaces délaissés et désuets est ainsi né différents lieux attractifs pour les habitants.
Certaines soumettent même aujourd’hui leur patrimoine à la créativité collective en lançant des appels à projets innovants, comme par exemple la ville de Grenoble qui en 2017 à présenter Gren’ de Projets. L’objectif ? Valoriser des lieux emblématiques de la ville et à faire redécouvrir certains bâtiments aux grenoblois à travers de nouveaux usages.
On le voit, les villes réinterprètent donc sans cesse leur patrimoine. Le patrimoine n’est donc pas un élément à figer, mais davantage à réinventer. Il est source de richesses et mérite qu’on investisse dans divers moyens pour lui redonner sa place. Des quartiers industriels renaissent, d’autres villes attirent toujours plus de monde grâce aux évènements culturels autour de leur histoire, comme par exemple la ville de Provins qui organise tous les ans une fête médiévale qui fait sa renommée. Puiser dans son passé, prendre soin de son patrimoine, semble être un moyen d’investir aussi dans l’avenir et de créer de nouvelles urbanités.